25th juin 2016

2064

posted in Lettres |

Salut !

Voici un texte que j’ai écrit récemment au milieu de mon projet plus grand d’un roman !

Bye et bonne lecture !

______________________

2064

A toi qui sais tant de moi mais dont je connais si peu…

Te souviens-tu de ce jour où j’ai décidé de t’écrire ? Assise au bureau de mon petit appartement de Strasbourg, par la fenêtre, j’ai levé les yeux vers le ciel. C’était un petit carré de firmament il me faut avouer. D’un gris blanchâtre de fin d’averse. Sur les toits l’eau gouttait encore et les tuiles, gorgées de pluie, avaient perdu de leur éclat. Quatre petites fenêtres coupaient la monotonie de cet océan couleur brique et réfléchissaient la lumière des nuages. Sur la crête du bâtiment, horizon entre l’humanité et l’infini, un pigeon se moquait de la pluie. Le temps de coucher une phrase et il s’était envolé.

Lorsqu’on m’a conseillé de t’écrire, la première chose que j’ai faite a été d’essayer de t’imaginer. Comme on dessine dans sa tête les contours d’un personnage de roman. Ton visage et tes cheveux. Ton regard. Mais, de même que pour mes héros, j’en fus incapable. Vint ensuite tout le reste, ton histoire et ton présent. Tout ce que j’avais voulu lire dans tes traits sans pouvoir simplement les distinguer. Je n’ai jamais été douée pour le dessin. Je cherchais quelque chose à quoi me raccrocher, une certitude, ne serait-ce qu’une hypothèse un tant soit peu crédible. Mes mains se refermèrent sur du vent. Tu fuis, tu cours et t’envoles, refusant les cages. Et qu’importe si dans la forêt, le chercheur a chargé son arme.

Comment prétendre alors t’écrire si je ne connais rien de toi ? Pour une réponse ? Elle ne viendra jamais. Tu ne vois pas ? J’écris seulement à des gens qui ne me répondront jamais. Des figures décédées aux ombres derrière moi. Tu n’en es pas si différente au fond. Oscar, des muses, toi… Je répète que j’aimerais écrire à de grands auteurs, des petites gens qui ont changés ma vie, mais pas un mot n’a été posé. Est-ce que je ne t’écris pas parce que je sais que jamais une réponse ne viendra ? Peut-être que je sens que je ne pourrai m’ouvrir autant si tu existais.

Serait-ce alors pareil si j’écrivais à mes personnages ? Des héros sans nom pour la plupart, comme si je refusais de leur donner une identité. Dans une dizaine d’histoires il n’y a qu’un personnage que j’ai nommé, à moitié forcée. Quelque part je voulais qu’ils soient libres, non pas sans nom mais aux milliards d’identités. Comme ces étoiles que chaque peuple a nommé à son image et qui appartiennent à tous sans appartenir à personne. Un prénom, ce n’est pas une identité. On nait avec alors que l’on ne se connait pas encore, souvent même le prénom vient avant l’être. Certains, prenant conscience du poids de quelques syllabes, décident de les changer. De renaître. Jamais je n’écrirais cela s’il y a trois jours je n’avais pas rencontré quelqu’un qui, bien que surement du même âge que moi, refusait ses prénoms pour chercher celui qui lui correspondrait. Sur la feuille de présence il n’avait rien noté. Même si nous gardons notre nom, la façon de le prononcer, de l’envisager et de peser chaque syllabe évolue avec nous. Je pourrai écrire ici ton prénom mais quelque part je ne sais pas comment le dire. Il y a tant de façons. On peut le chuchoter, l’articuler, le proclamer ou le bafouiller. Certains les scandent, d’autres les psalmodient. Il me faudra des années pour choisir comment prononcer le tien.

As-tu des regrets sur ta vie ? Aimes-tu simplement l’être que tu es devenu ? Cet Homme qui se cherchait et semblait se perdre un peu plus dans chaque ligne posée sur le papier. A quoi ressemble ton monde ? A mes rêves de Vendetta ou aux cauchemars des jours de passivité ? Réponds moi ! Tu ne vois pas que je suis perdue parfois, que j’ai l’impression de courir dans un songe où l’univers recule sous mes pas et où le temps n’est suspendu que pour moi ? Tu ne pourrais pas m’écrire un peu pour une fois ? Moi qui ait passé des années à écrire en cherchant sans le savoir à te connaître un peu mieux. Écrire pour changer un monde auquel j’aimerais que tu appartiennes. Dis moi seulement comment faire… Il parait que seul on ne peut rien. Je n’ai que quelques mots à ma portée et tant d’actes à faire émerger, tant de consciences à éveiller – la mienne ne faisant pas exception à la règle. Quels mots choisir ? Dans un monde où des centaines de langues sont parlées, évoluent chaque jour et meurent parfois. Est-ce seulement des mots qu’il faut employer ?

Tu sais déjà tout. Tout ce que je vais te dire et tout ce que je pourrai te dire. Alors pourquoi cette lettre ? Peut-être qu’au fond, malgré tout ce que j’ai dit, ces lignes ne te sont pas adressées. Même si je me suis efforcée de penser à toi tout au long de cette lettre, à mes yeux quelque part, tu n’existes pas. Être en devenir. A travers cet être inconnu de 2064, c’est à chaque lecteur que je m’adresse. Ceux dont je ne connais rien mais à qui, cherchant des réponses, je me suis ouverte. Ceux qui ont compris qui j’étais avant que je ne le réalise moi même. Tout ceux qui participeront à forger l’avenir incertain de 2064, qu’ils soient vivants pour le voir ou mort depuis longtemps. Ces lecteurs qui, peut-être, après avoir connu qui je suis, influeront sur celle que je serais.

Te souviens-tu qu’un peu plus tard, sur le toit gondolé, ils étaient deux oiseaux ? Mais dans la ville il y en a des milliers. Peut-être autant qu’il y a d’Hommes.

Celui que tu imagines.

This entry was posted on Samedi, juin 25th, 2016 at 11 h 41 min and is filed under Lettres. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

There are currently 6 responses to “2064”

Why not let us know what you think by adding your own comment! Your opinion is as valid as anyone elses, so come on... let us know what you think.

  1. 1 On juillet 1st, 2016, Clément said:

    Un très beau texte, qui me rappelle de profondes évidences.

    Vous serez dans la 70éme année de Votre Vie en 2064, et je vous souhaite d’aller bien au-delà de cette date….

    Et moi, je réalise mes 70 ans d’âge qui seront échus dans 9 mois.

    Souvenirs :

    En 1973, j’habitais un studio, sous les toits, à Strasbourg rue de l’Ancienne douane. Les pigeons étaient déjà là, survolant une ville qui m’enchantait, entre le Rhin historique et les Vosges aux sombres forêts chargées de légendes et de mystères.
    J’étais celui qui contemplait la ville, accoudé sur le bord de sa fenêtre.
    Quel message pourrais-je à présent lui adresser ?
    Pourrait-il m’entendre, à l’autre bout de cette ligne invisible qui transcende le Temps ?

    A mon tour de répondre à ce défi, en écrivant à celui qui m’appelle et m’interroge secrètement.
    Je suis certain qu’il m’entendra.
    Quelques souvenirs me reviennent, une présence avec une sorte de dialogue, accompagnés de signes. C’est devenu clair plus tardivement, après la trentaine……
    Pas avec les mots, mais par l’énergie pure de la pensée, celle qui ignore le temps.
    Ainsi peuvent répondre ceux dont « la réponse ne viendra jamais »…en apparence… patience….
    L’intuition, l’inspiration, sont des réalités invisible faite de savoir, de savoir-faire, de communication…dans l’Invisible et l’’intemporel.
    L’Artiste, souvent les pratique sans le reconnaître, et la culture moderne nous rassure fermement, renvoyant le poète à ses émotions pétries de rêve et d’imagination. L’Artiste créateur est invité fermement à s’exiler dans ses illusions et sa solitude intérieure, obligé par ailleurs de soumettre sa créativité aux règles despotiques du marché, s’il choisit de vivre de ses œuvres.

    « Tu ne vois pas que je suis perdue parfois, que j’ai l’impression de courir dans un songe où l’univers recule sous mes pas et où le temps n’est suspendu que pour moi ? »

    Plus de repaires, de points fixes, de points d’appuis. Même les continents sont à la dérive !
    Reste le Présent, le Temps suspendu.
    Les anciens, fins connaisseurs de la nature humaine, et probablement de certaines lois indiscernables par l’observateur profane, représentaient plusieurs niveaux de conscience selon l’évolution spirituelle d’un individu. Cette approche, enracinée dans les vieilles cultures païennes de l’Antiquité, a subsistée en occident dans les milieux cultivant, entre autres, l’alchimie ou l’astrologie.

    Sove et Coagula :
    Neptune

    En lisant certains passages forts du texte, j’ose ce rapprochement insolite avec une épreuve réservée aux anciens initiés, appelée « épreuve de l’eau » (référence à l’un des quatre éléments).
    La conscience connait alors le désarroi, car en rupture avec les cadres sécurisants de la culture « ordinaire ». La seule référence devient alors le « Moi supérieur », nommé ainsi faute de pouvoir disposer d’un vocabulaire approprié.
    Cet appel, cette rencontre avec l’Homme futur, l’Individu accompli que nous aspirons à devenir et que nous devrons progressivement intégrer, incarner durant notre existence passe par ce sentiment de vertige :

    « Mes mains se refermèrent sur du vent. Tu fuis, tu cours et t’envoles, refusant les cages. Et qu’importe si dans la forêt, le chercheur a chargé son arme. »

    Nous étions protégés, au quotidien, par les habitudes, les convictions, la foi, les horloges, la société, la morale…le prénom lui-même…et cet expédient au départ bénéfique qui assurait provisoirement la cohésion de notre « personnalité » : l’égo.

    Dans ce beau texte, l’égo se dissout. Reste cette dimension océanique, et la quête de sa propre identité, sa véritable entité, dans des éléments devenus insaisissables par la conscience commune.

    Forger l’avenir……

    L’Univers sera différent après notre passage. Il prospérera aussi avec tout ce que nous avons semé, y compris à travers les mots.
    Semons de bonnes graines.
    Lourde responsabilité, pour ceux qui sont conscient de ce pouvoir.

    22 ans, et déjà une telle avance !
    La suite du voyage est pleine de promesses.
    Les difficultés, les doutes et les craintes ne viendront pas à bout des félicités que vous connaitrez….jusqu’à l’an 2064….et encore mieux après……

  2. 2 On juillet 23rd, 2016, talisman said:

    Bonjour,

    Merci pour ce long commentaire si personnel.
    Pas facile de répondre à cela.

    Je suis contente car j’ai beau avoir écrit un texte à la base assez personnel, d’autres personnes peuvent visiblement y trouver un écho à leur propre vie.
    J’ai bien aimé quand vous parlez des règles despotiques du marché. C’est tout à fait ça. Je me dis souvent que mes textes sont trop abstraits, que peu de gens aimeraient lire cela pour leur passe temps. Certains font de l’écriture un métier, d’autres un art. Je ne peux pas vraiment les critiquer, ces auteurs qui sortent des livres à la pelle. Au fond ils répondent aux envies d’un certain public et c’est quelque chose que je ne pourrai pas faire, écrire sur demande. Un peu comme une autre forme d’art.
    Si je suis fermement opposée à l’astrologie (et non point l’astronomie !), je comprends ce que vous voulez dire par les différents niveaux de conscience. Au fond, petit, le passage à l’âge de raison est une élévation vers un de ces niveaux de conscience.

    Vu la longueur du chemin, mieux vaut le commencer tôt !

    Merci à vous,

  3. 3 On juillet 28th, 2016, Clément said:

    Le « chemin » est, et doit rester une aventure. Il se trace à l’extérieur, dans le monde, la société, les rencontres; la vie intérieure est aussi un cheminement, et les deux doivent former une solide association.

    Un petit détour par la sagesse et l’humour d’Albert Einstein….qui nous envoie quelques perspicaces et fécondes pensées (citations):

    « -L’imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité. L’imagination encercle le monde.
    -L’imagination représente tout. C’est un aperçu du futur de votre vie. L’imagination est bien plus importante que la connaissance.
    -Je n’ai pas fait une seule de mes découvertes par un processus de pensée rationnelle.
    -La distinction entre le passé, le présent, le futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle.
    - Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré.
    - La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi…
    - Je ne crois point, au sens philosophique du terme, à la liberté de l’homme. Chacun agit non seulement sous une contrainte extérieure, mais aussi d’après une nécessité intérieure.
    - La créativité est contagieuse, transmettez-la ».

    Ah, ces scientifiques…..lorsqu’ils sont philosophes et poètes….une merveilleuse harmonie!

    Bonnes vacances
    Pierre

  4. 4 On juillet 28th, 2016, Jacky said:

    Bonsoir Pierre et Julie

    j’ai l’envie incompressible de répondre à Pierre sur le site de mon amie Talisman.
    j’aurai pu le faire plus discrètement en utilisant vos deux mails.
    Je retrouve que répondre ici a du sens.

    Les citations que tu as choisies Pierre sont l’essence de ce que je suis.

    je suis troublé !
    comme si les pièces d’un puzzle ancien se reformait sans mon intervention.
    sans que je puisse m’y opposer.

    Nous parlons ici des mystères de la vie dans l’univers !
    c’est une vieille histoire entre réalité et imaginaire.
    c’est la poésie de l’art qui toujours fait le trait d’union entre ces deux forces de l’esprit
    elle incite l’imaginaire à construire du réel
    et la réalité à rêver.
    J’espère chère Talisman que tu ne choisiras jamais entre ces deux pôles
    que ton équilibre de funambule te permettra de vivre en dansant sur ce fil d’Ariane

    Merci à vous deux pour cette belle correspondance.

    Jacky

  5. 5 On février 1st, 2017, le veilleur said:

    Bonsoir !

    je vous cite !

    Comment prétendre alors t’écrire si je ne connais rien de toi ? Pour une réponse ? Elle ne viendra jamais. Tu ne vois pas ? J’écris seulement à des gens qui ne me répondront jamais. Des figures décédées aux ombres derrière moi. Tu n’en es pas si différente au fond. Oscar, des muses, toi… Je répète que j’aimerais écrire à de grands auteurs, des petites gens qui ont changés ma vie, mais pas un mot n’a été posé. Est-ce que je ne t’écris pas parce que je sais que jamais une réponse ne viendra ? Peut-être que je sens que je ne pourrai m’ouvrir autant si tu existais.

    le temps est sans doute venu d’écrire directement à vos lecteurs en sachant que certains vont répondre.

    Un ami (le veilleur )

  6. 6 On mai 25th, 2017, jacky said:

    Chère amie

    il est de mon devoir de réclamer un nouveau texte !
    je le fais de suite afin d’éviter un an de silence sur ton blog

    A bientôt

    Jacky

Leave a Reply