Souffle Mots

L’ange et la princesse (1/4)

12th février 2011

L’ange et la princesse (1/4)

Salut !

Je vous présente aujourd’hui la première partie d’un conte écrit peu avant les vacances de Noël. Je l’adore ! Quand je dis cela ce n’est surement pas pour me vanter de quoi que ce soit (j’ignore s’il vous plaira ou s’il est bien) mais pour la simple raison que ce doit être l’histoire que j’ai écrite qui m’a le plus passionnée. Quand je l’écrivais j’en oubliais mes devoirs, l’heure… C’est fantastique d’écrire tout en inventant. Bien sur je connaissais le déroulement général de l’histoire mais pas les détails et plusieurs fois je me suis retrouvée à avoir l’impression d’être le personnage principal. J’étais déçue à la fin quand j’ai dû la finir.

Je crois que je ne m’étais jamais autant donnée dans un conte, j’espère qu’il vous plaira, n’hésitez pas à critiquer et à me dire ce que vous en pensez !

Bye et bonne lecture.

L’ange et la princesse (2/4)
L’ange et la princesse (3/4)
L’ange et la princesse (4/4)

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L’ange et la princesse (1/4)

Il pointa l’épée vers l’enfant. Silence. Sur la lame du sang séché. Lentement il brandit l’arme au dessus de sa tête. L’enfant souriait, confiant.

Il était une fois un automate encastré fermement dans la roche au dessus de la porte d’une boutique de jouet à l’abandon. Le magasin était situé à l’angle d’une rue peu passante. Les pierres commençaient à noircir, les vitres étaient couvertes de poussières et à travers seule la pénombre était visible. Au sol les dalles étaient pour la plupart fissurées, cicatrices du temps. Cela faisait des dizaines d’années que nul n’était entré dans la boutique depuis la mort des derniers propriétaires. Des légendes racontent que de leur vie ils n’avaient jamais quitté ce magasin.
«Entre ces murs nous faisons bien plus que vendre de simples jouets, disait la vieille femme ; on fabrique.
Que fabriquez-vous ? Demandaient les curieux.»
Alors toujours au côté de sa femme un vieil homme répondait avec un clin d’œil : «Les secrets ne sont que des vérités à protéger. J’en suis leur chevalier.»
Et l’automate avait des allures de reine, figée sur son socle de pierre, trône d’éternité. Malgré les années elle resplendissait, réverbère dans l’obscurité.

Depuis quelques jours tous les soirs l’automate voyait arriver un enfant sautillant de joie et de gaité. Les dalles instables ne le gênaient pas, démarche divine.
Il tenait entre ses petites mains une boite à chaussures comme si c’était la chose la plus précieuse qu’il possédait. Arrivé à la hauteur du magasin l’enfant s’arrêtait devant la porte et levait la tête.
«Princesse, offre-moi un peu de ton âme, je me sens vide.»
L’automate se penchait alors vers lui, joignait ses mains afin de former un cercle, puis soufflait. Quelques secondes plus tard une bulle se dessinait, naissait tel un nouveau-né sort du ventre de sa mère, contour informe avant de devenir une sphère multicolore. Sans précipitation, sûr de lui, l’enfant ôtait le couvercle de la boite à chaussures et la dressait au dessus de sa tête. Dès que la bulle s’y était déposée il refermait avec précaution sa cage, s’inclinait puis repartait par où il était venu de sa même démarche insouciante.
Ceux qui croient que les automates n’ont pas d’âme c’est simplement qu’ils ne l’ont jamais eu entre les mains.

A cette époque j’étais jeune et insouciant, je n’appris que plus tard ce qui se déroulait la nuit à mon insu. J’étais encore innocent, de ces adolescents à l’esprit borné. Je ne pensais qu’à elle, princesse. A elle, elle, elle…

Elle était assise les jambes croisées, droite et le visage de profil. Une jupe plissée lui descendant jusqu’aux mollets découvrait des pies nus et fins. Elle dégageait une impression de calme et de paix, ses mains posées l’une sur l’autre sur ses genoux. Bien que n’étant pourvue d’aucuns bijoux sa svelte silhouette attirait immédiatement de regard, surtout son visage. Elle avait un étrange sourire, de celui qui dit : «Je sais quelque chose que tu ignores», de ces sourires mystérieux qui font tout le charme des femmes. Et il y avait ses yeux dans lesquels j’ai tellement aimé me noyer, sans profondeur, infinis, ils menaient à son âme.
Quelque chose en elle m’attirait, me séduisait. C’était plus que de la sensualité…de la féminité.

Cet après-midi quand je suis sorti des cours j’ai couru, j’ai couru à perdre haleine et quand mon cartable a commencé à me gêner, ralentissant ma course, je l’ai jeté au sol sans un regard en arrière.
Leurs rires retentissaient encore en moi, telle la houle ils revenaient sans cesse à l’assaut de mon cœur. Il y avait leurs regards, leurs moqueries, leur mépris : «Dans quelques années tu ramasseras des déchets dans la rue…dans quelques années tu seras au chômage…tu le fais exprès ou quoi ! Travaille !»
Quand je m’affalai contre un mur il faisait nuit depuis longtemps déjà. Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il était, de lourds nuages masquant la voûte céleste. Solitude. Égarement. Mon visage entre mes mains.
Au bout d’un temps qui me parut interminable, calmé, je relevai la tête pour voir si je reconnaissais cette rue. Elle était étroite et il faisait sombre. Si j’avais fermé les yeux cela serait revenu au même…ou presque. Derrière moi il y avait une étrange lumière voilée par un peu de brouillard. C’était comme une apparition. Je restai longtemps à la regarder, envouté. La peur, la haine, la rancœur, la douleur ; envolées.
Soudain un bruit. D’abord lointain il devint de plus en plus précis. Quelqu’un s’approchait.
Effrayé je me cachai dans le renfoncement d’une porte un peu délabrée. Un morceau de bois m’écorcha le dos mais je ne bougeai pas et tendis un peu plus l’oreille.
Ce n’était pas le pas lourd des ivrognes ni celui feutré des gens malintentionnés. C’était comme un sautillement, une fugue. Intrigué je jetai un coup d’œil.
Un ange.

Ceux qui ne croient pas aux anges c’est simplement qu’ils n’en ont jamais vu. Les anges n’ont pas d’ailes dans le dos ou d’auréoles au dessus de la tête : ils ont un sourire radieux et un tendre regard. Les anges ne sont pas vêtus de blanc : c’est leur âme qui rayonne.
Si ce soir il n’y avait pas eu ce bout de bois qui laissait tomber au sol quelques gouttes de sang probablement que j’aurais cru que j’étais monté au ciel. Mais non j’avais mal, très mal. Cependant je n’osais pas bouger et briser le sortilège.
Je vis l’ange s’adresser à une princesse qui n’avait pas de couronne, je vis l’automate prendre vie et enfanter le monde entre ses mains avant qu’il ne soit piégé dans une petite boite à chaussures. Je vis l’ange s’incliner et repartir. Et la fugue s’éloigna avant de mourir.
Lorsque tout fut terminé je remarquai alors que j’étais frigorifié. Doucement je fis pivoter la porte contre laquelle j’étais adossé, y pénétrai, la refermai puis m’endormis.
Certains jours quand je doute de tout ceci je regarde mon dos dans un miroir. J’ai une cicatrice.

Comme pour chaque maison inhabitée, chaque demeure laissée à l’abandon, les villageois ne tardent jamais à s’en servir dans leurs légendes, leurs histoires d’horreur. Il paraît que quiconque pénètre dans la boutique de jouet devient fou. Mais c’est ce que les gens racontent…

Les jours qui suivirent, je retournai en cours. Était-ce pure folie que d’espérer qu’un jour les Hommes puissent changer ? Depuis ce soir où j’avais effleuré le paradis j’espérais.
Je sortis des cours. Mon cartable était situé juste quelques rues plus loin de là où je m’étais réfugié. Je l’avais vite retrouvé. En fait cette nuit là je n’étais pas perdu. Le matin, baigné par la lumière du Soleil le quartier avait retrouvé une allure familière. Toutefois ce n’était plus la même rue car la clarté aveuglante du jour étouffait les faibles rayons de…
«Pourquoi tu restes ici ? De toute manière tu n’as pas d’avenir !»
C’est douloureux d’espérer, c’est comme un morceau de bois dans le dos…sans raison…sans récompense bien des fois.
Ne pas réagir, ne pas se retourner. Ignorer.
Il y a trois jours je m’étais fait la promesse de revenir voir la princesse et son ange. Alors pour l’instant mon avenir s’arrêtait là et ça me suffisait.

La nuit était tombée et la vie avait déserté la ruelle. J’étais seul. Seul en face de la princesse. Je lui parlais comme si elle pouvait me comprendre. Je lui confiais mes doutes, mes espoirs, ma douleur toutefois aucun mouvement, aussi infime soit-il, ne l’animait. Elle était statufiée. J’avais fini par m’asseoir par terre en tailleur quand je perçus la fugue, douce mélodie. Je levai la tête. Un bond, une pirouette…l’ange arrivait.
De nouveau le même rituel s’effectua sous mes yeux ébahis mais à la fin, tandis qu’il s’inclinait devant la princesse, il se retourna et me salua d’un clin d’œil avant de repartir.
«Attends !» C’était la première fois que j’ordonnais à un ange. Je me levai et courus à sa suite. A-t-on le droit d’ordonner à un ange ? Je l’ignorais.
«Es-tu un ange ? » Il ne m’écoutait pas, il sautillait et moi j’avais tout le mal du monde à le rattraper. Soudain il tourna au croisement…quand je bifurquai il n’y avait plus personne. La rue était déserte. Je rebroussais alors chemin, déçu.
«Si tu es un ange, aide-moi.»
Mais j’étais encore trop jeune pour comprendre qu’être aidé c’est recevoir un peu d’amour et que ce n’est possible à la seule condition que l’on ait ôté de son cœur toute haine.
A cette époque je haïssais le monde.

C’était devenu une habitude. Tous les soirs je me rendais à la rue de la boutique de jouet. J’attendais et l’ange apparaissait. Je lui courais après puis il disparaissait, illusion qui s’effrite.
Mais les adolescents sont ainsi faits que dès que quelque chose leur résiste ils s’attachent d’autant plus à en percer le mystère. Mon mystère à moi il mesurait un mètre vingt. A première vue c’était un tout petit mystère sans intérêt. A part un fou qui donc aurait daigné porter attention à un ange déchu et à sa ridicule boite de chaussures ?
Un adolescent désespéré.

Ce soir là je m’en souviendrai toute ma vie. Il pleuvait à torrent sur la ville et même mon parapluie ne parvenait à m’abriter complètement. J’avais hésité à aller dire bonjour à la princesse mais je m’y étais finalement résolu. Je n’avais heureusement pas eu à attendre longtemps la venue de l’ange. Malgré le flux d’eau canalisé par la ruelle étroite il n’avait aucune difficulté à se déplacer. En réalité on eut dit qu’il marchait sur un océan. Il ne glissait pas, il n’éclaboussait pas. Il jouait sa fugue.
Cependant il était trempé. Ses cheveux mi-longs dégoulinaient sur ses épaules et ses vêtements lui collaient à la peau. Même les anges peuvent être mouillés.
«Princesse, offre-moi un peu de ton âme, je me sens vide.»
L’automate souffla alors et une bulle apparut.
«Attends !» Intrigué cette fois l’ange se retourna.
«Prends-le ; ça te sera utile, murmurai-je en lui tendant mon parapluie ; il ne faudrait pas que le monde éclate…» Je lui souris. Il fit un signe de la tête en guise de remerciement et agrippa de sa petite main la poignée recourbée du parapluie.
Il y a des instants de notre vie où tout se fige comme une photographie. Il était là en face de moi, à quelques centimètres. J’avais encore ma main sur le parapluie. Il venait d’y déposer la sienne. Et il y avait cette bulle de savon, seul élément nous séparant…ce monde arc-en-ciel. Autour de nous la pluie ruisselait, cadre mouvant à notre tableau. Elle nous enserrait, nous séparait du reste du monde, doux crépitement. Un ange et un cancre sous le même parapluie, un ange qui se protège du ciel. A l’école personne ne nous apprend à parler aux anges, personne ne nous apprend à sourire aux anges. J’étais immobile.
«Suis-moi» avait-il chuchoté. Mais ses lèvres n’avaient pas bougé. Peut-être l’avais-je rêvé.
Toutefois lorsqu’il avait fait demi-tour et qu’il était reparti, sautillant de plus belle, j’étais à ses côtés. Je fuguais.

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1st juin 2010

Quand brillera l’obscurité (3/3)

Salut!

Voici la fin du conte que j’ai commencé à vous présenter il y a quelques semaines.

J’ai pris beaucoup de temps à trouver une fin à cette histoire et j’en suis assez contente.

J’espère qu’elle vous plaira et n’hésitez surtout pas à me dire ce que vous en pensez (en bien ou en mal !).

Bye et bonne lecture.

Quand brillera l’obscurité (1/3)

Quand brillera l’obscurité (2/3)

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Quand brillera l’obscurité (3/3)

Le ciel ce soir était rouge, assassiné par le Soleil ; les rues se désertaient petit à petit, les passants se pressaient tandis que le vent se glaçait et Lanterne, comme chaque fois à cette heure, se recroquevillait un peu plus dans son alcôve tout en resserrant sa couverture autour de lui.
S’il supportait encore cette position humiliante et inconfortable c’est qu’il savait que dans peu de temps, s’il le désirait, s’il en sentait le besoin inexpliqué, il pourrait parler à la nuit ; ou du moins l’espérait-il…
L’enfant commençait à fermer les yeux, paisible, attendant simplement de sentir autour de lui la douce et rassurante présence de la nuit quand une voix suivit de gloussements le firent sursauter :
«Regardez ! Pauvre petit, il est tout seul, il a froid.»
Un garçon à peine plus âgé que Lanterne se tenait en face de lui, entouré de quelques camarades, unis dans la haine et le plaisir de blesser. Son ton était empli de mépris.
«Ma mère me dit toujours de me méfier des clochards et de les éviter, qu’ils étaient tous des garnements et ne sont bons qu’à chaparder. Tu les as volé  à qui ces pièces petit voyou ?»
Lanterne se taisait, il fixait ses mains serrées entre ses genoux pour conserver un peu de chaleur.
«T’as perdu ta langue alors ! Regardez tous il a peur !»
Des rires, durs, coupants, blessants…
Ils se rapprochèrent, resserrant le cercle.
«Dîtes, et si on lui prenait ses pièces ? Elles te servent à rien, bouffon ?»
Lanterne tremblait. Il n’osait pas relever la tête. C’était la première fois que la nuit et la solitude qu’elle apportait l’effrayait.
«Non, j’ai encore mieux, rétorqua un de ses acolytes, faut lui faire comprendre à ce voyou qu’on en a marre de voir tous les jours sa tête de con dans la rue.»
L’enfant se crispa. Il ferma les yeux.
«Lanterne, pourquoi te caches-tu ? »
C’était le crépuscule et la voix de Nuit n’était que très faible.
«Je ne me caches pas…
- Alors explique-moi ces mains devant ton regard.»
Mais comme Lanterne ne répondait pas la nuit poursuivit :
«Je ne vois plus la lumière de tes beaux yeux noirs.
- Mais Nuit, j’ai peur et j’ai mal, non pas au corps mais à l’âme.»
Le temps s’était comme suspendu, dilaté. Tout peut arriver quand le Jour rencontre la Nuit…
«Sais-tu pourquoi je n’ai plus peur du noir ?
- Non, répondit l’enfant sans chercher à réfléchir.
- Parce qu’au lieu de voir l’obscurité, j’essaie de ne percevoir que l’éclat de ton cœur et de tous ceux dont tu m’a révélé l’existence.»
Un silence. Une inspiration.
«Lanterne, tu m’as aidé et tu m’as ouvert les yeux, tu t’es intéressé à moi alors que tous me fuient et me redoutent. Je n’ai pas les moyens de te rendre riche ou de remédier à ta condition de dos-au-mur mais je puis au moins t’apporter mon amitié. Fais moi confiance et ôte ton masque.»
Un coup de pieds dans le genou.
«Nuit, j’ai peur.»
Un coup de poing dans le ventre.
«Enlève tes mains de devant ton visage.»
D’une poigne quelqu’un agrippa ses cheveux.
«Nuit, j’ai mal.»
Son corps plaqué contre le mur. Sa respiration qui s’accélère.
«Ouvre les yeux !»
Alors Lanterne poussa la porte de la cage dans laquelle il était emprisonné, cette cage de peur, de solitude et de souffrance.
Alors Lanterne put rayonner, comme Lautre il y a très longtemps car il était désormais libre, libre d’exprimer sans peur ce rêve universel qui brillait en lui et en chacun, un rêve d’amour, de paix et de fraternité.
Pour la première fois Lanterne quitta son mur et il se dressa droit, au milieu de la ruelle.
Le jour s’était éteint mais, au grand bonheur de Nuit, la pénombre s’était dissipé tandis même que les étoiles continuaient de briller dans le ciel : l’enfant parlait et de nouveau il espérait :
«Je m’appelle Lanterne, je suis dos-au-mur…»
Les garçons qui l’entouraient s’étaient masqués le visage, aveuglés par la clarté des yeux de l’enfant.
«Je m’appelle Lanterne et je refuse ce soir que l’on obscurcisse le jour…»
Petit à petit le groupe reculait, tête baissée.
«C’est grâce à toi, Nuit, si ce soir j’existe. Tu m’as donné un nom, un but et l’envie de vivre…»
Les garçons s’étaient enfuis, emportant l’ombre de leur cœur.
Seul subsistait l’enfant, immobile, les yeux tournés vers le ciel :
«Je m’appelle Lanterne mais aujourd’hui, pour toi, je serai Lautre.»
Soudain dans la nuit une étoile filante traversa le ciel, s’alluma, brilla puis mourut…
«Nuit, tu pleures ?
- Oui, mais c’est de joie.»
Rien n’est plus beau que le sourire d’une personne qui nous est chère.

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22nd mai 2010

Quand brillera l’obscrutité (2/3)

Salut !

Voici la suite du conte dont je vous ai présenté le début il y a deux semaines.

Bye et bonne lecture.

Quand brillera l’obscurité (1/3)

Quand brillera l’obscurité (3/3)

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Quand brillera l’obscurité (2/3)

Plusieurs jours s’écoulèrent, tous semblables les uns aux autres ; quelques étoiles qui s’éteignent dans l’immensité.
Pendant tout ce temps Lanterne cherchait dans son esprit un moyen d’aider la nuit mais sa longue réflexion ne le mena finalement qu’à la conclusion qu’à travers la peur du noir c’était la peur d’elle même qui tourmentait Nuit :
«Tu as peur de toi, Nuit. Tu as peur parce que tu ne contrôles plus rien, que tu n’es même plus maître de ta propre personne, que tu trembles sans pouvoir t’en empêcher, que les étoiles clignotent et que tous grelotent de froid. Tu as peur de toi parce que tu crois que tout ce qui arrive est de ta faute. Tu…»
L’enfant venait de penser à voix haute, en plein jour et soudain il s’était tu. Quelques personnes, intriguées, s’étaient arrêtées. Ils le regardaient en fronçant les sourcils, en jetant à la dérobée des regards lourds de sens : «Il est fou.» y lisait le dos-au-mur ; «le pauvre il divague complètement…». Le garçon ferma les yeux et baissa la tête. Nuit n’était pas là, il était midi, et pourtant, autour de Lanterne, le monde tremblait ; il vacillait car quelque chose était apparu au fond de ses yeux, bien pire que la peur…juste de la douleur.

Ce même jour, un peu plus tard lorsque le Soleil fut couché, Nuit s’adressa à l’enfant :
«Je t’ai montré mon cœur et je t’ai révélé mes frayeurs ; à ton tour maintenant de te dévoiler.»
Le silence souvent n’est qu’apparence, car c’est sans bruit que les cœurs crient. Ce soir seule la nuit pouvait entendre Lanterne pleurer.
«Tu ne connais camarade que l’obscurité ; tu ignores tout du jour. La pénombre est reposante pour les yeux et douce pour le cœur tandis que la lumière, elle, aveugle, elle agresse, elle nous brandit à la face du monde pour que tous ricanent. Tu as peur du noir, je le comprends ; mais peux-tu concevoir que je redoute le jour, ce moment où les ombres apparaissent, nous séparent et nous rendent inégaux. L’ombre de ceux assis par terre est toujours plus petite que celles de ceux les observant, les dominant, les jugeant.»
Nuit avait écouté, elle avait écouté mais elle n’avait rien pu dire, rien pu faire.
Soudain dans la nuit une étoile filante traversa le ciel, s’alluma, brilla puis mourut…
«Nuit, tu pleures ?»
Il est dur parfois d’être impuissant.

Dans les jours qui suivirent personne ne parla mais ils se cherchaient, se guettaient d’autant plus ; un sourire, un clin d’œil et un peu de lumière, c’est tout ce dont ils avaient besoin pour avoir l’impression de ne plus être seuls mais de partager une part d’eux-mêmes avec quelqu’un.
Pourtant un soir, peu après le crépuscule, Nuit chuchota gênée :
«Je peux te parler ?»
L’enfant sourit : «Bien sûr.»
La nuit attendit un moment, comme si elle hésitait à prendre la parole une nouvelle fois puis murmura :
«Il y a encore eu un meurtre très tôt ce soir, j’ai tout vu. C’était une embuscade et la haine ruisselait tout autour comme le sang sur la lame.»
Cette nuit dans le ciel il y avait des nuages.
«Nuit, pourquoi te caches-tu ?
- Je ne me cache pas…
- Alors explique-moi ce voile devant tes yeux.»
Mais comme Nuit ne répondait pas Lanterne poursuivit :
«Je ne vois plus les étoiles.
- Quelle importance, elles sont tellement petites !»
L’enfant se tut un moment puis demanda :
«Sais-tu pourquoi je n’ai pas peur du noir ?
- Non, répondit Nuit après une courte réflexion.
- Parce qu’au lieu de voir l’obscurité, j’essaie de ne percevoir que l’éclat des étoiles.»
Un silence. Une inspiration.
«Je peux t’aider, Nuit ; je peux t’apprendre à voir la lumière dans l’obscurité. J’ai beaucoup réfléchi et je pense que j’en suis capable…mais pour cela je te demanderai d’ôter ton masque.»
Alors une trouée apparue entre les nuages et le garçon put voir scintiller deux petites étoiles ; deux yeux qui brillaient d’espoir.

Lanterne se leva, confiant, sûr de lui-même, et tandis qu’il parlait son regard se posait tout à tour sur la brise, les animaux nocturnes et les étoiles car ce soir, plus qu’à un esprit, l’enfant s’adressait à un corps, un cœur et à une âme :
«Tu voudrais, Nuit, voir briller de nouveau Lautre dans le ciel pour qu’elle t’illumine, te rassure et te prouve la bonté de l’Humanité ? Sache qu’elle n’a jamais cessé de rayonner.»
Nuit eut l’air sceptique : «Pourquoi me donnes-tu une lueur d’espoir alors que j’ai vu Lautre exploser et mourir de mes propres yeux. Sais-tu combien il est douloureux d’espérer en vain ?»
L’enfant bomba le torse, fier de lui-même pour la première fois :
«J’ai déjà vu des personnes courir, rire ou sourire mais jamais je n’ai vu quelqu’un mourir.
Mourir n’est pas une action que l’on réalise ; c’est simplement lorsque l’on cesse de vivre, lorsque l’on cesse de courir, de rire et de sourire.
- Peut-être ; mais j’ai vu Lautre exploser et toute chose qui explose meurt…
- Non, coupa l’enfant, toute chose qui explose se brise, se déchire, se fragmente mais ne meurt pas. Si tu souffles sur une fragile rose, les pétales se détacheront pour s’envoler, emportées par le vent. C’est un peu comme si la rose aurait explosé ; mais elle ne serait pas pour autant morte car il subsisterait en de nombreux endroits une part d’elle même. Quand Lautre a explosé elle ne s’est pas éteinte ; des fragments de sa lumière se sont simplement éparpillés aux quatre coins du ciel. Si ton rêve d’union, de paix et de fraternité s’est dissous, les acteurs n’en sont pas moins présents et vivants. Regarde le ciel Nuit, Lautre a disparu mais quelque chose d’autre n’est-il pas apparu ?»
Deux yeux invisibles s’étaient tournés vers l’immensité :
«L’obscurité.
- Non, cela c’est ce que tu veux voir.»
La nuit étudia le ciel méthodiquement. Il y a avait tout d’abord la Lune dont le puissant éclat attirait directement son regard ; puis l’obscurité, dense, effrayante, cette obscurité qui n’en finissait pas…
Nuit faillit réitérer sa première réponse et se détourner des ténèbres lorsque soudain quelque chose la surprit : un point de lumière. Cette vision fut comme un bref éclair, précédé et suivi par la pénombre. Mais cette fois-ci la nuit ne s’attarda pas à regarder l’obscurité et son regard courut très vite jusqu’au prochain point lumineux.
«Les étoiles.»
L’enfant esquissa un croissant de Lune.
«Chaque astre que nous voyons est le reflet du rêve d’une personne, un rêve égoïste et solitaire mais un rêve toutefois. Ces étoiles sont moins brillantes que Lautre mais elles existent tout de même. Si tu veux reconstituer ce satellite brisé prend le temps de regarder chaque étoile, de comprendre son rêve, et de le partager. Le ciel il est sûr restera semblable à aujourd’hui mais dans ton cœur les rêves de millions d’autres rayonneront. On se sent toujours plus fort quand on partage notre rêve avec quelqu’un d’autre…»
Une petite brise, légère comme un soupir, effleura le visage de l’enfant.
«Cependant cela n’efface pas l’obscurité. Elle reste, elle persiste ; j’ai l’impression de marcher les yeux fermés avec la peur constante de tomber et de me blesser.
Ne suis-je donc condamné qu’à sauter d’étoile en étoile en attendant de me tromper, de vaciller et de chuter dans l’obscurité ?
- Non ! » Lanterne ne parlait pas fort, c’est à peine s’il chuchotait, si ses lèvres remuaient. Ce soir seul son cœur criait, il hurlait à la nuit comme un loup pris de folie. Nulle oreille ne l’entendait, nulle tête ne se leva mais dans la ville tous les cœurs s’éveillèrent…
«Non, je refuse d’être condamné à cette vie. Je refuse d’être condamné à voir passer les gens chaque jour devant moi, je refuse d’être condamné à attendre d’être seul pour pleurer. J’ai refusé d’être condamné à ne jamais entendre quelqu’un me parler avec amitié et c’est pourquoi ce soir, grâce à toi, je peux refuser que tu sois condamné à l’obscurité.»
Nuit s’était arrêtée de respirer, plus un son ne s’élevait dans la pénombre. Tous écoutaient.
«Oublie les meurtres, les larcins, les gémissements ; ferme ton cœur à la noirceur de leurs âmes et ne daigne les regarder que lorsqu’ils auront recouvré un petit peu de clarté. Nuit, je suis dos-au-mur cependant j’ai encore assez de fierté pour ne lever les yeux non pas sur ceux dont le portefeuille en vaut la peine mais sur les rares personnes dont le cœur en vaille la chandelle car, alors, leur regard est empli de plus de lumière que toutes les pièces de leur bourse.
Je t’en prie, ne pose tes beaux yeux sombres que sur les vies qui brillent en silence, sur ces mères qui le soir venu refoulent leur fatigue et leur lassitude pour bercer de nouveau leur progéniture, sur ces pères qui prennent leur plus belle voix pour raconter une histoire, sur ces amis qui ouvrent leur portes aux âmes égarées et savent si bien les consoler, sur ces amants qui s’aiment dans l’impunité, sur ces enfants seuls chez eux qui lisent pour s’enfuir vers quelques idéaux, sur ces louves qui bravent le danger pour nourrir leurs petits, sur ces arbres qui se creusent pour abriter les écureuils, sur chaque être qui se sent seul dans le noir et aspire à sentir sur son visage la douceur de ton regard, de ton sourire…
Chaque étoile, même petite, mérite qu’on lui prête attention. Alors seulement elle pourra grandir et rayonner. Alors seulement l’obscurité pourra s’illuminer.»
Longtemps après le discours de Lanterne la nuit resta pensive à contempler la lumière de chaque être, à comprendre leurs désirs, leurs envies avant de réaliser que leurs rêves aussi pouvaient être beaux et simples, de petites étincelles ravivant le brasier de l’espoir.
«Lanterne quel est ton rêve, ton rêve le plus cher ?
- Avoir un ami, quelqu’un sur qui je puisse compter, un mur qui ne risque pas de s’effondrer.
- Je croyais que c’était d’être prince d’un infini royaume où il n’y aurait plus aucune frontière, plus aucun mur pour séparer les hommes et instaurer des conditions.»
L’enfant acquiesça, le visage grave et empli de mélancolie :
«C’est vrai. Mais désormais je crains de devenir prince et d’être plus seul que je ne le suis aujourd’hui.
Peu m’importe ma condition de dos-au-mur si j’ai un ami.»
La nuit sourit.
«Je partage ton rêve, mon ami.»

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14th mai 2010

Quand brillera l’obscurité (1/3)

Salut !

Aujourd’hui je vais vous présenter la première partie d’un conte que j’ai entamé durant les vacances de pâques et finit peu après. A part Le gland qui voulait devenir grand je n’ai jamais fait de conte aussi long et quand je l’ai commencé je ne pensais pas du tout qu’il m’occuperait pendant plus de deux semaines. Le contexte, les personnages et le problème ont été assez facile à mettre en place mais j’ai eut beaucoup de mal à trouver la solution du problème : on peut dire alors que je vivais l’histoire en même temps que je l’écrivais.

J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce conte, notamment parce que pour ce faire je sortais le soir et pouvais profiter du calme de la rue ou d’un café. C’est probablement la raison pour laquelle ce texte parle tellement d’obscurité…

Bye et bonne lecture.

Quand brillera l’obscurité (2/3)

Quand brillera l’obscurité (3/3)

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Quand brillera l’obscurité (1/3)

Dans la nuit une étoile filante traversa le ciel, s’alluma, brilla puis mourut… Quelqu’un pleurait.

Il était une fois un enfant assis sur des dalles de pierre contre un mur, un petit garçon qui lançait à chaque passant un sourire timide et forcé tandis qu’eux, parfois, dans un élan de générosité, faisaient sonner à ses pieds quelques pièces de métal.
Il s’était habitué à sa condition de dos-au-mur, comme il préférait qu’on l’appela, car il est vrai que n’importe qui, riche ou pauvre, pouvait un jour s’adosser à la pierre et la remercier du soutient qu’elle lui apportait. Bien que peu glorieuse il préférait cette position à celle d’être face au mur, à celle du cancre réprimandé qu’il avait subi durant quelques années.
Quand on tourne le dos au peuple les critiques sont plus acerbes, plus ouvertes, plus lâches…et l’humiliation plus grande.
La condition de dos-au-mur avait au moins l’avantage de lui révéler l’identité de ceux qui le blessait.
Jour et nuit l’enfant restait dans cette même position, silencieux. Il ne parlait à personne, répondant simplement par quelques signes de la tête, quelques haussements du coin de ses fines lèvres.
Ce n’était que la nuit que le cœur de l’enfant s’allégeait et qu’il se laissait aller à murmurer tout seul dans la pénombre. Il déclarait ses peurs, ses joies, ses peines sans aucune honte ni crainte car qui donc un soir aurait pu s’intéresser aux sentiments, aux espérances d’un garçon refusant de dormir ?

Un jour pourtant, alors que le Soleil avait rabattu la couverture de l’horizon sur sa tête et que quelques étoiles commençaient à apparaître, éclatantes, pour aller au bal , une voix familière, à la fois proche et lointaine s’éleva. Elle s’adressait à l’enfant :
«Bonsoir ; la voix sembla hésitante, comment t’appelles-tu ?»
Sans chercher à comprendre d’où provenaient ces mots l’enfant déclara :
«Cela fait tellement longtemps qu’on ne m’a pas posé cette question que j’en ai oublié la réponse.»
Après un nouveau temps de réflexion la voix décida :
«Je te nommerai donc Lanterne…
- Pourquoi ? rétorqua l’enfant
- Tout simplement parce que les lanternes s’accrochent au mur et qu’elles sont comme des veilleuses dans les sombres rues de l’esprit.»
Inconsciemment le garçon sourit :
«Et vous, puis-je connaître votre nom ?»
Autour de l’enfant la pénombre se faisait plus dense, plus lourde mais ses yeux, habitués à l’obscurité, ne percevaient dans les environs que la seule présence des chats de gouttières et des oiseaux tournoyant au-dessus de la ville endormie.
«Comme toi Lanterne je n’ai pas vraiment d’identité et mon appellation varie suivant les contrées où je m’installe. Aujourd’hui, pour toi, je serai Nuit.»
L’enfant se recroquevilla un peu plus contre le mur, non pas qu’il fut effrayé, mais simplement parce qu’une légère brise venait de se lever et qu’il cherchait à s’en protéger.
«Suis-je le seul, Nuit, à t’entendre, ou ta douce voix résonne-t-elle dans le cœur de tous les enfants ?
- Non, ce soir je ne parle qu’à toi.»
Le garçon se tut et, les yeux grands ouverts, regarda le ciel.
Quelque chose en lui, probablement un instinct nocturne, lui chuchotait qu’il fallait être éveillé pour entendre le murmure de la nuit.

Tout le reste du temps l’enfant resta muet et son nouveau camarade fit de même. Cependant, malgré cette absence de mot, Lanterne savait que si la nuit ne parlait plus à son esprit elle s’adressait à son cœur comme bien des fois déjà elle l’avait fait, sans ouvertement se manifester. Il percevait, venant de la forêt, le hululement du hibou, le souffle du vent, un peu plus sinistre, un peu plus furtif, juste assez pour humidifier les murs et éveiller en eux d’étranges frissons.
Mais surtout c’est le silence que l’enfant écoutait, cette paisible harmonie qui unissait tous les êtres le soir tombé.
Oui, ce n’était sûrement pas la première fois que Nuit lui parlait ainsi mais pour la première fois chaque son s’inscrivait en lui comme une sensuelle caresse, signe d’une tendre affection, d’un intimité partagée.
Ce fut dans cette sérénité que le jour revint, agressant les yeux encore ouvert de Lanterne et faisant fuir Nuit à grands coups de klaxons, de cris et de ricaillements.

Les nuits qui suivirent c’est avec plus d’ardeur et d’espoir que Lanterne guetta l’appel de Nuit mais chaque fois son désir laissait place au silence, ce silence qui était désormais pour lui plus un signe d’abandon que d’amitié.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines que l’enfant, pris d’une profonde mélancolie songea à rétablir lui même le dialogue avec Nuit :
«Pourquoi, il y a de ça plusieurs lunes, t’es-tu adressé à moi ? Est-ce la folie d’une solitude trop longtemps nourrie qui me fait divaguer ou l’esprit de la Nuit existe-t-il vraiment ?»
L’écho de ses paroles résonna quelques secondes dans l’étroite ruelle avant de s’éteindre comme une flamme en manque d’oxygène. Quand le silence fut revenu une réponse s’éleva jusqu’à lui, faible mais néanmoins perceptible :
«Je cherchai à savoir à qui appartenait toute cette lumière. Tu es peut-être éveillé Lanterne mais tu rêves et tes rêves m’illuminent comme les étoiles elles-mêmes n’en sont plus capables.»
Le garçon leva les yeux vers l’immensité au dessus de lui :
«Je ne me doutais pas que la nuit pouvait autant aimé la clarté.»
Lanterne était conscient qu’il passait les heures sombres à espérer, à espérer en secret un monde meilleur où il ne serait plus dos-au-mur mais prince et que son royaume s’étendrait à l’infini car il n’y aurait plus aucune frontière, plus aucun mur pour séparer les Hommes et instaurer des conditions ; juste des bras grands ouverts pour soutenir ses amis et l’humanité toute entière, comme des murs le feraient sans évoquer cependant dans les cœurs la crainte qu’ils ne s’effondrent et ne les ensevelissent.
L’enfant savait déjà tout ceci mais il ne comprenait pas pourquoi ses rêves plus que ceux des autres rayonnaient. Il n’eut toutefois pas besoin de poser sa question pour que Nuit la perçoive et lui explique :
«Tu n’es pas le seul à rêver, Lanterne, mais tu rêves différemment. Tous autour de toi aspirent au pouvoir, à la domination, à la vengeance… Ce sont pour la plupart des rêves égoïstes et personnels. Tandis que toi, petit, tu rêves d’amour.
Il y a très longtemps, à une époque où l’Humanité même n’était pas encore née, il y avait dans le ciel non pas une mais deux Lunes, l’une et l’autre d’une splendide clarté. Cependant un jour une guerre est apparue, la première, je ne me souviens même plus pourquoi. Le conflit a grandi, enflé, tout comme la haine dans le cœur des Hommes et lentement les souhaits d’union de paix et de fraternité se sont émiettés.
Celle que l’on nommait à cette époque Lautre s’est fragmentée, déchirée, brisée pour finalement exploser sous la pression des tensions…nous ne l’avons jamais revue, probablement est-elle morte.
Tu ne saisis surement pas toute l’étendue de ton talent mais sache, Lanterne, qu’un seul rêve de ton cœur suffit à dissiper l’effroi de quelques autres.»
Une nouvelle fois le silence revint sur la ville car il y a des vérités qui, une fois énoncées, semblent si lourdes de sens que toute autre phrase serait déplacée.
Seuls ces quelques mots pouvaient prétendre combler le gouffre qui s’était instauré : «Explique-moi.»
Alors, après un long soupir, obéissant à l’ordre ingénu d’un enfant, la nuit lui ouvrit son âme :
« J’ai peur petit, d’une frayeur infantile mais non pas stupide. J’ai peur du noir comme nul ne l’a jamais autant craint et dès que j’ouvre les yeux la terreur s’empare de moi, incontrôlable.
J’ai peur car je sais que c’est dans la pénombre que sont commis les meurtres, les larcins et que naissent les cauchemars.
J’ai peur car je suis la seule à entendre les rêves du monde, ces rêves noirs de haine. Pourquoi suis-je obligée de garder les yeux ouverts ? En réalité Lanterne ce n’est pas de l’obscurité des villes dont j’ai peur mais la noirceur des cœurs que je fuis. Je pense alors que tu peux t’imaginer combien ta lumière me réchauffe l’âme.»
L’enfant aurait voulu aider Nuit mais il ignorait comment faire. Cela aurait été se leurrer que de croire que l’on peut changer la nature des Hommes. La seule chose qui lui semblait être à sa portée était de remplir son cœur avec tout l’amour dont il disposait, l’affection qu’il avait pour celle qui lui procurait déjà depuis plusieurs mois une inestimable compagnie, mais aussi la tendresse qu’il ressentait pour tous ceux qui lui avait un jour accordé un peu de compassion et d’attention. Alors il lui suffirait de sourire, doucement, timidement, pour lui offrir son cœur.

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19th février 2010

Réfugiés de la réalité (2/2)

Salut !

Voici la suite du conte débuté la semaine dernière.

Bye et bonne lecture.

Réfugiés de la réalité

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Réfugiés de la réalité (2/2)

Le jour même de sa rencontre avec l’oiseau l’enfant commença à s’affairer de toute part, rassemblant ficelles, tissus et tiges de fleur.

«Que fais-tu donc ? » demanda son grand-père, intrigué.

Mais son petit fils lui répondit simplement ces trois mots, un sourire sur les lèvres : «Je rêve éveillé…»

Le mystère subsista de nombreux jours mais au bout d’un mois l’ancêtre vit apparaître une corde entre les mains de Grand Rêveur :

«Quelle montagne comptes-tu escalader avec ceci ? Interrogea le grand-père.

- Celle de la réalité.»

Malheureusement Grand Rêveur était encore trop petit pour savoir qu’on ne peut gravir une telle falaise mais seulement s’y échouer.


Un an après la rencontre, jour pour jour, la corde était finie. Elle faisait plus de dix mètres et à l’une des extrémités se dressait une boucle de telle sorte qu’elle ressemblait à un immense lasso.

Au petit matin l’enfant sortit de son abri, la corde sous le bras et se mit à scruter attentivement le ciel, une main en visière pour se protéger du Soleil.

Soudain une ombre noire obscurcit le visage de Grand Rêveur mais ses yeux s’illuminèrent : le Nuage était au rendez-vous.

Ôtant le lasso de son épaule, il se mit à courir derrière la forme blanche tout en faisant tourner la corde au dessus de sa tête avant de la lancer de toutes ses forces en direction du nuage.

Le lasso se referma sur sa victime et commença à entrainer dans sa course l’enfant qui s’agrippait à l’autre extrémité tout en s’élevant progressivement à la force de ses bras au dessus du sol.

«Je ne rêve plus, s’écria Grand Rêveur, je vole ! Je vais enfin pouvoir traverser la Ligne ! »

L’enfant riait de tout son cœur : il vivait son plus beau rêve. En dessous les personnes qu’il survolait, ses amis, sa famille l’applaudissaient. Tous se réjouissaient de cet exploit, tous sauf un.

Grand Rêveur ne le savait pas mais son grand-père l’observait et il s’inquiétait.

Petit à petit, sans que l’enfant ne le remarque, la corde s’enfonçait dans l’épaisseur blanche et, bientôt, il ne resterait plus rien pour le soutenir.

Poussé par le vent, le Nuage se rapprochait de la muraille et de ses pics acérés, entrainant toujours avec lui son passager.

Soudain deux évènements survinrent : l’enfant survola le sommet de la Ligne…et le Nuage se brisa.

En quelques secondes son sourire se métamorphosa en cri de terreur tandis que Grand Rêveur tombait. Il allait s »échouer sur la falaise de la réalité.

«Rêver est un droit universel et immuable, songea l’enfant ; réaliser son rêve ne l’est pas…»

Grand Rêveur ferma les yeux.

Tout à coup, au lieu de se sentir lacérer par le fil barbelé, quelque chose l’agrippa par sa tunique et le souleva.

«Ouvre les yeux petit, ne te réfugies plus dans les rêves, ce serait te voiler la face que de croire que, seul, tout est possible.»

L’enfant obéit au conseil et souleva ses paupières.

Au dessus de lui Libertin planait, portant à bout de serres un rêve renaissant.

«Et je t’en pris, poursuivit l’oiseau ; redescend de ton nuage. »

Grand Rêveur se hissa sur le dos du roi et regarda au sol : ils avaient traversé la Ligne.

«Tu n’as pas peur d’être fusillé ? » demanda l’enfant.

En bas les visages se levaient ahuris, les immeubles alternaient avec les jardins, les villes avec les campagnes ; jamais le cavalier des airs n’avait vu aussi beau paysage : c’était le paradis.

«Pour te dire la vérité : si, j’ai peur. Mais je me dis que si un enfant risque sa vie pour le bonheur de son peuple, alors ce serait un crime que de le laisser mourir tandis qu’il s’est battu pour nous.»

L’enfant tourna la tête et ce qu’il vit le laissa muet.

Des dizaines…non. Des centaines, probablement même des milliers d’oiseaux les entouraient.

«Prince, voici votre armée. Voyez comme la réalité, parfois, peut être belle. »

Mais à terre, déjà, les fusils se chargeaient, prêts à ouvrir le feu.

Cependant, lorsque les hommes et les femmes aperçurent Grand Rêveur, tous baissèrent leur arme et un murmure se répandit dans chaque village et ville que l’armée survolait :

«Un enfant…»

Alors le jeune prince quémanda :

«Libertin, s’il te plaît, faisons demi-tour.

- Pourquoi ? Rétorqua l’oiseau surprit.»

Grand Rêveur marqua alors un temps de silence avant de répondre :

«Traverser la Ligne n’était pas seulement mon rêve mais celui de tout mon peuple et il ne pourra être exhausser que lorsque, tous, nous l’aurons réalisé.»

Obéissant alors le roi et son escorte s’en retournèrent vers la muraille.

«Tu es sage petit ; malgré la haine que tu portes en toi et l’armée dont tu disposes désormais, tu n’as pas songé à ravager le pays.

- Tu te trompes, rectifia l’enfant, j’y ai pensé lorsque je t’ai demandé de faire demi-tour ; j’ai même hésité. Seulement je me suis dit que s’ils n’avaient pas tirés sur nous, c’est qu’il leur restait encore un peu de bonté et que je me devais de la protéger.»

De retour devant la muraille, l’armée des anges plongea vers la porte de marbre interdisant le passage de la Ligne et, dans un même élan de volonté, la brisèrent en milles morceaux.

Grand Rêveur redescendit alors sur terre et, lorsque le nuage de poussière fut retombée, il s’exclama:

«Entrez Réfugiés, le rêve, parfois, rejoint la Réalité ! »

Et lorsque la foule eut franchie la porte, les yeux de l’enfant se reportèrent sur le sol et il sourit : les décombres de la muraille recouvraient la Ligne.

«On ne peut effacer la réalité, murmura Libertin, seulement l’enfouir et l’ensevelir sous quelques rêves…»


«Grand-père, c’est quoi un réfugié de la réalité ?

- C’est un rêveur qui a fuit la réalité d’un monde pour se réfugier dans le rêve d’un autre. Nous sommes tous quelque part des réfugiés de la réalité.»

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10th février 2010

Réfugiés de la réalité (1/2)

Salut !

Je vous présente aujourd’hui un conte écrit pour le club Unesco dont je fais parti. J’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire et j’espère que vous en prendrez encore plus à le lire !

Bye et bonne lecture.

Réfugiés de la réalité (2/2)

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Réfugiés de la réalité (1/2)

«Un jour, du ciel, l’armée des anges descendra guidée par son prince et elle viendra nous ouvrir les portes du paradis, mais seuls les rêveurs croient encore à cette légende.

- Grand père ; c’est quoi un rêveur ?

- C’est quelqu’un qui espère, en vain, de tout son cœur.»


Il était une fois un enfant du nom de Grand Rêveur. Sa famille l’avait nommé ainsi car ses rêves étaient très différents de ceux des enfants de son âge. Il ne rêvait pas du dernier jouet sorti dans les magasins, ni d’une montagne de glace au chocolat, ni même d’un parc d’attraction ; ses rêves étaient trop grands pour que ses parents puissent les exhausser.

Assis à califourchon sur un baril vide de pétrole, se balançant lentement d’avant en arrière, l’enfant rêvait.

Il rêvait qu’au loin les feux s’éteignaient et que les fusils se taisaient, il rêvait que les immenses décharges bordant son bidonville étaient de gigantesques et luxuriantes forêts, il rêvait qu’un soir, en se couchant sur sa paillasse il n’entendrait plus les lamentations de son estomac. Mais surtout, surplombant tous les autres, trônait Le Rêve, celui là précisément que les enfants formulent lorsque les adultes leur demandent quel est leur souhait le plus cher.

Grand Rêveur rêvait qu’un jour, lui et sa famille, pourraient enfin traverser la Ligne.


Souvent le soir lorsque Grand Rêveur refusait d’aller dormir, son grand-père s’asseyait auprès de lui et, en regardant le ciel, ils rêvaient.

«Grand-père, pourquoi notre pays est-il en guerre ; je ne suis pourtant fâché contre personne ? » questionna une nuit l’enfant tandis que l’horizon venait de s’allumer comme une bougie, très vite soufflée, avant que ne leur parvienne les applaudissements des bombes.

«Ce n’est pas notre guerre mon enfant mais celle des pays riches. Une bataille vois-tu, cela fait des dégâts, ça détruit des villes, des vies pour la plupart innocentes et ça plonge le pays dans le feu et le sang. C’est beaucoup moins risqué pour ces égoïstes nations de mener chez nous leur combat. Regarde toutes ces poubelles ! C’est pareil. C’est plus facile de les stocker dans des pays faibles, obligés de se taire. »

Grand Rêveur se souvenait de son village natal si paisible, de ce jour où pour la première fois il connut la peur, de leur fuite effrénée et de cette phrase qu’avait prononcée il y a très longtemps son grand-père :

«Restons ici, plus loin c’est la Ligne. »

C’est pourquoi, les yeux rivés vers l’horizon, l’enfant demanda :

«Montre moi la Ligne. »


A chaque âge appartient une expérience. Petit on apprend à lire et à écrire, plus tard à devenir indépendant…Chacun de ces apprentissages nous transforme à un moment précis de notre vie mais il y en a un qui ne se situe dans aucune tranche d’âge mais qui, plus que tous les autres, modifie notre perception du monde.

Cette expérience, soit nous la découvrons par nous même, soit elle nous est imposée.

Il n’y a pas d’âge pour affronter la réalité.


Grand Rêveur marchait à longues enjambées afin de suivre l’allure rapide de son grand-père. Tous deux se taisaient.

Soudain devant eux apparut une immense muraille s’étendant à perte de vue, un mur recouvert de fer barbelé au pieds duquel était tracé en blanc une ligne : La Ligne.

«De l’autre côté c’est le bonheur, la profusion, la richesse. Ils se sont entourés pour se protéger de la honte de l’égoïste possession. Des vigiles sont postés de partout sur la Ligne ; nul ne l’a jamais franchi vivant, dans un sens ou dans l’autre.» déclara l’ancêtre.

Grand Rêveur approcha ses pieds jusqu’aux limites de la Ligne.

«N’y a-t-il vraiment rien qui n’entre ou ne sorte de ce riche pays ? »

Pendant un long moment son grand-père réfléchit avant d’expliquer :

«Même les oiseaux ne traversent plus la Ligne, on ne sait pourquoi.»

Alors tout deux regagnèrent leur bidonville.


Toute la nuit les images de la Ligne et de la muraille hantèrent le sommeil de l’enfant. Il revoyait la fine marque blanche semblant presque tracée à la craie et le mur de terreur s’élevant à plus de six mètres de haut.

«Pourquoi ont-ils peur de moi, demandait Grand Rêveur, est-ce un crime que de rêver à un monde meilleur ? »


Le lendemain Grand Rêveur retourna voir la Ligne. Elle le fascinait et l’effrayait à la fois car il ne comprenait pas comment quelque chose d’aussi ténu pouvait être à lui seul la cause de tous les maux d’un peuple.

Après l’avoir contemplé un long moment l’enfant s’accroupit soudain auprès d’elle et, pris dans un élan d’espoir et de rage, il déchira un pan de sa tunique et se mit à frotter la Ligne de toute la force de ses fébriles mains.

Cependant, plus il grattait le sol plus le nombre de plaie sur sa peau augmentait et plus il sentait en lui la haine grandir.

«Non ! Je ne dois pas haïr ! C’est par la haine que le malheur et la douleur se fraient un chemin dans nos cœurs. C’est par la haine que les guerres commencent. » Grand Rêveur secoua la tête le visage crispé :

«Je ne veux pas devenir un monstre comme eux…»

Tout à coup il sentit une vague d’air lui rafraichir le visage et une voix stridente s’exclama :

«Ne t’inquiètes pas petit enfant, jamais tu ne pourras leur ressembler car même si tu en venais à les haïr de tout ton cœur, ce n’est pas un morceau noirci de tissu ou tes mains tremblantes qui feront de toi un meurtrier. Seul l’argent te le permettrait. »

Grand Rêveur abandonna sa tache et se retourna. A ses côtés se tenait un magnifique oiseau au plumage blanc.

«Qui es-tu ?» questionna l’enfant.

L’animal se redressa de toute sa hauteur, bomba le torse et déclama :

«Je m’appelle Libertin et je suis le roi des oiseaux.»

Soudain Grand Rêveur se remémora sa discussion de le veille :

«Si tu es un oiseau, qui plus est leur roi, pourquoi ne traverses-tu pas le Ligne ?

- Il y a des années, lors de la construction de la muraille, nous fûmes chassés de ce pays pour des raisons toutes aussi futiles les unes que les autres.»

L’animal tourna la tête en direction de la Ligne, songeur.

«Avez-vous depuis tenté de retourner dans l’enclave ? Demanda Grand Rêveur.

- Jamais, murmura l’oiseau, nous serions fusillés.»

Le visage dur l’enfant s’exclama :

«Vous êtes peureux et lâches.»

Mais le roi se tut.

Une ombre passa alors au dessus de cet étrange couple et l’oiseau déclara avec un sourire :

«Seul le Nuage est autorisé à franchir la Ligne. Chaque année il surgit au dessus de nos têtes avant de disparaître derrière la muraille.»

Le pâle tissu blanc traversa le ciel puis sauta de l’autre côté de la Ligne.

«Dans un an, à la même heure, nous le retrouverons.»

L’oiseau s’envola alors laissant l’enfant seul. L’animal ne savait pas qu’il venait de donner à Grand Rêveur une nouvelle raison d’espérer.

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13th janvier 2010

L’aube des étoiles (2/2)

Salut !

Voici la fin du conte dont j’avais mis le début il y a deux semaines. J’espère que cela vous plaira.

Bye et bonne lecture.

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L’aube des étoiles (2/2)

 

            Un matin, à l’aube, lorsque le Soleil commençait à pointer à l’horizon, la mouche prit son élan et sauta de sa fleur qui était devenue pour elle comme une seconde maison.

Jour et nuit elle battit de ses fébriles ailes et s’éleva au dessus du sol. Plus elle se rapprochait de l’astre plus sa forêt lui semblait petite et plus elle prenait conscience de l’ampleur du monde.

« Moi, probablement un des insectes les plus petits de cette planète je suis tombée amoureuse de l’astre le plus grand et le plus important du Système Solaire. »

Lorsqu’Ykar avait questionné la Lune sur le chemin le plus rapide pour se rendre jusqu’au Soleil cette dernière avait répondu qu’il fallait d’abord quitter la terre et voler ensuite en direction de la lumière.

« Mais comment saurais-je que je ne suis plus sur la planète bleue ? avait rétorqué la mouche. 

- Quand autour de toi, tout sera noir. »

Cela faisait tellement longtemps qu’Ykar volait et elle était tellement fatiguée  qu’elle avait perdu toute notion du temps. Si la mouche arrivait encore à battre des ailes c’est qu’elle puisait cette force dans l’admiration et son amour pour le Soleil.

« S’il peut courir tous les jours dans notre immense ciel sans jamais s’accorder une minute de repos, alors moi aussi j’en suis capable. »

C’est pourquoi ; pour se donner du courage, la mouche fixait continuellement le Soleil dès qu’il sortait de l’océan et la nuit elle observait la Lune, s’imaginant que c’était celui qu’elle chérissait.

Mais un jour soudain, lorsque l’astre était au zénith, autour d’Ykar tout devint noir.

« Ca y est ! se réjouit la mouche, j’ai enfin quitté la Terre ! Il ne me reste plus qu’à suivre l’éclat du Soleil. »

Cependant, ses yeux amoureux ne perçurent aucune lumière ; c’était l’obscurité complète.

Effrayée, perdue, la mouche tourna dans tous les sens à la recherche de la plus petite étincelle. Elle était paniquée :

« Je ne peux pas avoir parcouru tout ce chemin pour rien ; la Lune ne m’aurait pas menti…

- Ton satellite ne s’est pas joué de toi, il t’a dit la vérité, tout ce qu’il y a de plus vrai. »

Ykar fit volte face, étonnée :

« Qui êtes-vous, je ne vous vois pas ?

- Je suis une étoile filante et j’appartiens à la grande famille des Perséides. »

Tournant  toujours sur elle-même la mouche protesta :

« Par quel sortilège êtes-vous invisible à mes yeux ? »

Et, de n’importe où et de nulle part, de l’univers entier jusqu’au plus profond de son âme une voix murmura :

« Par amour. »

Ykar resta muette, bouche bée devant les paroles insensées de l’étoile filante.

« Je suis désolée de devoir te l’annoncer mais tu n’as pas quitté la Terre, tu en es même encore loin. Si autour de toi tout te semble noir c’est simplement que ton amour t’a rendue aveugle. Personne ne t’avait jamais prévenu qu’il est très dangereux de regarder le Soleil ?

- Mais comment une telle splendeur peut-elle nous vouloir du mal ? Pourquoi, alors que j’aimais tant l’admirer, m’a-t-il brûlé les yeux ? »

L’étoile filante eut un petit rire puis sourit :

« Sache mon enfant que les apparences sont parfois trompeuses, je le sais désormais mais ile st trop tard pour moi. Il y a quelques années j’étais dans ton cas, une poussière de roche de moins d’un millimètre ; j’ai eu la malchance de tomber amoureux de la Terre…elle est si jolie dans on peignoir bleue, j’avais tellement envie de toucher son corps pourvu de centaines de cristaux différents, de roches et de pierres précieuses. »

L’étoile filante soupirat et si la mouche avait pu lire dans ses yeux elle y aurait décelé un océan de nostalgie.

« Comme toi, j’ai cherché à rejoindre celle que j’aimais et regarde aujourd’hui à quoi j’en suis réduit, moi et toute ma famille. Camarade, l’amour t’a simplement ôté la vue ; prend le tel une mise en garde. Moi elle consume désormais de l’intérieur et me ronge pour mettre à nu mon faible cœur amoureux. Dans quelques minutes je ne serai plus que cendre et souvenir ; tu es probablement la dernière personne que je rencontre alors laisse moi t’aider. »

La mouche acquiesça et ouvrit grand ses oreilles.

« Ne te laisse pas dominer par tes sentiments, tu ne serais plus que le pantin d’un cœur tyran. Apprends à les maîtriser, à les contrôler. Si la beauté est dangereuse, l’amour l’est tout autant, il te tend une embuscade, se cache dans ton dos et te poignarde un jour par surprise. Tu ne comprends ce qu’il t’arrive que lorsqu’il est trop tard.

Je t’en prie, oublie cette folie de vouloir rejoindre le Soleil, ton sort serait semblable au mien. Ne crois pas que l’astre du jour puisse tomber amoureux de toi, ce serait un mirage, il n’est qu’une boule de gaz, une machine infernale qui produit sans cesse de l’énergie et de la chaleur. Retourne sur la Terre. »

Ykar se taisait, désormais plus que d’être perdue physiquement elle l’était mentalement. Toutes ces informations, ces conseils, ces réalités qui lui ouvraient les yeux, lui tombaient dessus beaucoup trop vite.

Alors, sentant son désarroi, l’étoile filante reprit la parole pour l’aider une dernière fois :

« Il paraît que sur ta planète bleue lorsqu’on voit un membre de ma famille traverser l’atmosphère et mourir on fait un vœu. Reviens sur Terre et réfléchis au souhait que tu aimerais le plus voir s’exhausser. Si tu le veux sincèrement et que tu y crois vraiment ; alors il deviendra réalité. »

La voix de l’étoile filante diminua ensuite lentement tandis qu’elle s’en allait laissant la mouche seule avec son amour inassouvi.

Petit à petit Ykar ralentit les battements de ses ailes pour toucher finalement de nouveau les pétales humides de sa fleur de campagne.

 

            Durant son aventure la mouche s’était endurcie ; elle avait réussi à oublier la faim et la fatigue cependant elle réalisait désormais  combien elle était épuisée et affamée.

Mais surtout au fond d’elle elle ressentait un grand vide, un effrayant abîme en extension.

« Est-ce cela la douleur, ce coup de poignard dont parlait l’étoile filante ? J’ai l’impression qu’il m’ôte lentement tout goût à la vie et qu’il me laisse exempt de tout désir. Mais s’il y a une chose qu’il ne peut m’enlever c’est mon admiration pour celui que j’aime. »

Soudain un sifflement retentit et les yeux d’Ykar s’illuminèrent car elle reconnut le doux murmure d’une étoile filante.

« Je fais le vœu de devenir une étoile. »

 

            Petit à petit, au fil des jours, la mouche recouvra des forces et bien qu’au début elle eut un peu de mal à trouver sa nourriture toute seule elle apprit ensuite à se diriger grâce à l’ouïe.

A chaque fois qu’un rayon de Soleil se posait sur ses ailes le gouffre s’agrandissait et l’absence en elle se faisait sentir toujours plus forte.

« Quel souhait irréalisable que de vouloir devenir une étoile, je suis une mouche, rien d’autre. J’embête les promeneurs quand je passe malencontreusement à côté d’eux, les animaux quand je me pose sur leur dos, et mon bruit strident est fuit par quiconque s’approche. Les étoiles sont recherchées par tous les grands Hommes, leur chaleur convoitée et leur lumière nécessaire à la vie ; je n’ai rien d’une étoile. »

Ykar s’imaginait déjà les rires moqueurs de ses amis et de sa famille si elle leur annonçait que son rêve était d’être une étoile.

Mais alors la voix d’un lointain souvenir chuchota à son cœur :

« Si tu le veux sincèrement et que tu y crois vraiment ton rêve deviendra réalité. »

Et soudain l’abîme s’arrêta de croître.

« Qu’importe si je ne deviens pas une « fabrique d’énergie « , qu’importe ma petite taille, qu’importe que tous médisent de moi ; j’ai envie de devenir une étoile.

J’ai envie qu’en me voyant les personnes sourient, j’ai envie de réchauffer leur cœur avec un peu de bonheur, j’ai envie d’être cette étincelle qui dans l’obscurité illuminera leurs yeux. »

Tout à coup dans la nuit une lumière apparut.

« J’ai envie d’aimer sans avoir peur de me consumer. »

C’était une faible clarté passagère qui s’éteignait comme une étoile filante…

« J’ai envie d’être aimé sans avoir à cacher ma flamme derrière un voile de peur. »

…mais qui se rallumait chaque fois comme un phare en pleine mer, comme un battement de cil, signal de vie.

« J’ai envie que l’on nomme cette catégorie d’étoiles celle des Lucioles »

 

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1st janvier 2010

L’aube des étoiles.

Salut !

Bonne année 2010 à tous !

Je vous présente aujourd’hui un conte écrit juste avant mon week end à Paris bien que l’idée soit plus ancienne. J’espère qu’il éclairera cette nouvelle année.

Bye et bonne lecture.

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L’aube des étoiles (1/2)

 

    « Chaque matin quand tu te lèves, avidement je te guette ; mais le soir, jamais tu ne te couches auprès de moi : Pourquoi pars-tu quand j’ai le plus besoin de toi ? »

 

     Il était une fois une mouche couleur cendre que tous nommait Ykar. Toute son enfance elle avait vécu dans une forêt sombre et humide, protégée du monde par le dense feuillage des arbres. Elle avait toujours cru que la Terre était uniquement peuplée de buissons, de chênes, de pins et de champignons ; qu’il faisait nuit lorsque le hibou se mettait à chanter et que le jour revenait lorsque les criquets commençaient à grésiller.

Mais un matin, perdue dans une mystérieuse rêverie, son vol la mena plus loin qu’elle n’avait jamais été, aux confins de son univers, sur les pétales d’une fleur de campagne.

Alors Ykar tomba amoureuse.

 

     Dans le ciel, bien au dessus de l’horizon, le Soleil resplendissait et la mouche fut incapable de résister à son charme, tombant dans les griffes de ses rayons immatériels comme de futiles paroles parfois nous bernent.

Des jours durant Ykar resta assise, immobile sur sa fleur et seuls ses yeux bougeaient, se déplaçant dans l’océan céleste afin de ne jamais quitter du regard l’élu de son cœur.

La nuit lorsque le Soleil disparaissait la mouche quittait son promontoire pour aller chercher un peu de nourriture mais elle retournait bien vite à sa place, effrayée à l’idée que l’astre ne ressurgisse de l’horizon sans elle à son chevet.

Souvent elle lui parlait de sa vie avant leur rencontre ou des sentiments étranges quelle ressentait pour lui :

« Je ne sais pourquoi, plus que de t’aimer je t’admire ; j’admire la grâce avec laquelle tu te meus dans le ciel, j’admire ta bonté de donner toute cette chaleur pour simplement quelques regards ; j’aime le matin, à l’aube, quand tes premiers rayons caressent mes ailes frigorifiées, j’aime le soir te voir changer de robe avant de te coucher…est-ce aimer quelqu’un que de l’admirer ou est-ce l’admirer que de l’aimer ? »

Mais jamais le Soleil ne répondait.

Alors une nuit Ykar ne partit pas se restaurer mais resta assise sur sa fleur et attendit patiemment la venue de la Lune. A la vue de cette dernière, la première impression de la mouche fut la déception : à part sa taille similaire à celle du Soleil le satellite ne dégageait qu’une lumière pâle et fade et son éclat semblait celui d’une faible bougie comparé à la puissance de l’astre flamboyant.

Néanmoins Ykar tenta d’attirer son regard car elle avait grand besoin de lui parler :

« Lune, toi qui rayonnes dans la nuit, m’entends-tu ? »

Et des profondeurs du ciel une puissante voix répondit :

« Oui .»

La mouche, certifiée d’obtenir une réponse demanda alors :

« Saurais-tu pourquoi le Soleil refuse de me répondre ?

- C’est simple : il ne t’entend pas. »

Ykar, surprise, ouvrit de grands yeux :

« Si ma faible voix porte jusqu’à tes oreilles, pourquoi ne porterait-elle pas jusqu’à celles de mon bien aimé ?

- Il faut que tu saches que, bien qu’ayant pour toi la même taille que le Soleil, je suis beaucoup plus petit mais également beaucoup plus près de la terre et que, si l’astre du jour ne perçoit pas ta requête c’est qu’il est situé à une distance que, en tant que petite mouche, tu ne peux t’imaginer. »

La mouche tout d’abord dépitée se ressaisit ensuite et s’illumina d’une lueur d’espoir :

« Mais ne connaîtrais-tu pas un moyen pour lui déclarer ma flamme ? »

La Lune se tut un instant puis déclara catégorique :

« Il faut que tu t’en approches d’assez près pour qu’il puisse t’entendre ; mais permets moi de te dire que c’est peine perdue car le temps nécessaire à ce voyage titanesque est démesuré »

Tout le reste de la nuit Ykar garda le silence et n’écouta que le bourdonnement incessant de son esprit mais, lorsque le satellite commençait à disparaître à l’horizon, elle se leva sur sa fleur et tonna à l’univers entier :

« Moi, Ykar, j’irai voir le Soleil pour lui exprimer l’étendue de mon amour et de ma gratitude, qu’importe les distances et le temps que cela me prendra : je l’aime. »

Alors débuta le plus long et le plus périlleux voyage qu’une mouche n’ait jamais entrepris.

 

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