Souffle Mots

Réfugiés de la réalité (2/2)

19th février 2010

Réfugiés de la réalité (2/2)

Salut !

Voici la suite du conte débuté la semaine dernière.

Bye et bonne lecture.

Réfugiés de la réalité

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Réfugiés de la réalité (2/2)

Le jour même de sa rencontre avec l’oiseau l’enfant commença à s’affairer de toute part, rassemblant ficelles, tissus et tiges de fleur.

«Que fais-tu donc ? » demanda son grand-père, intrigué.

Mais son petit fils lui répondit simplement ces trois mots, un sourire sur les lèvres : «Je rêve éveillé…»

Le mystère subsista de nombreux jours mais au bout d’un mois l’ancêtre vit apparaître une corde entre les mains de Grand Rêveur :

«Quelle montagne comptes-tu escalader avec ceci ? Interrogea le grand-père.

- Celle de la réalité.»

Malheureusement Grand Rêveur était encore trop petit pour savoir qu’on ne peut gravir une telle falaise mais seulement s’y échouer.


Un an après la rencontre, jour pour jour, la corde était finie. Elle faisait plus de dix mètres et à l’une des extrémités se dressait une boucle de telle sorte qu’elle ressemblait à un immense lasso.

Au petit matin l’enfant sortit de son abri, la corde sous le bras et se mit à scruter attentivement le ciel, une main en visière pour se protéger du Soleil.

Soudain une ombre noire obscurcit le visage de Grand Rêveur mais ses yeux s’illuminèrent : le Nuage était au rendez-vous.

Ôtant le lasso de son épaule, il se mit à courir derrière la forme blanche tout en faisant tourner la corde au dessus de sa tête avant de la lancer de toutes ses forces en direction du nuage.

Le lasso se referma sur sa victime et commença à entrainer dans sa course l’enfant qui s’agrippait à l’autre extrémité tout en s’élevant progressivement à la force de ses bras au dessus du sol.

«Je ne rêve plus, s’écria Grand Rêveur, je vole ! Je vais enfin pouvoir traverser la Ligne ! »

L’enfant riait de tout son cœur : il vivait son plus beau rêve. En dessous les personnes qu’il survolait, ses amis, sa famille l’applaudissaient. Tous se réjouissaient de cet exploit, tous sauf un.

Grand Rêveur ne le savait pas mais son grand-père l’observait et il s’inquiétait.

Petit à petit, sans que l’enfant ne le remarque, la corde s’enfonçait dans l’épaisseur blanche et, bientôt, il ne resterait plus rien pour le soutenir.

Poussé par le vent, le Nuage se rapprochait de la muraille et de ses pics acérés, entrainant toujours avec lui son passager.

Soudain deux évènements survinrent : l’enfant survola le sommet de la Ligne…et le Nuage se brisa.

En quelques secondes son sourire se métamorphosa en cri de terreur tandis que Grand Rêveur tombait. Il allait s »échouer sur la falaise de la réalité.

«Rêver est un droit universel et immuable, songea l’enfant ; réaliser son rêve ne l’est pas…»

Grand Rêveur ferma les yeux.

Tout à coup, au lieu de se sentir lacérer par le fil barbelé, quelque chose l’agrippa par sa tunique et le souleva.

«Ouvre les yeux petit, ne te réfugies plus dans les rêves, ce serait te voiler la face que de croire que, seul, tout est possible.»

L’enfant obéit au conseil et souleva ses paupières.

Au dessus de lui Libertin planait, portant à bout de serres un rêve renaissant.

«Et je t’en pris, poursuivit l’oiseau ; redescend de ton nuage. »

Grand Rêveur se hissa sur le dos du roi et regarda au sol : ils avaient traversé la Ligne.

«Tu n’as pas peur d’être fusillé ? » demanda l’enfant.

En bas les visages se levaient ahuris, les immeubles alternaient avec les jardins, les villes avec les campagnes ; jamais le cavalier des airs n’avait vu aussi beau paysage : c’était le paradis.

«Pour te dire la vérité : si, j’ai peur. Mais je me dis que si un enfant risque sa vie pour le bonheur de son peuple, alors ce serait un crime que de le laisser mourir tandis qu’il s’est battu pour nous.»

L’enfant tourna la tête et ce qu’il vit le laissa muet.

Des dizaines…non. Des centaines, probablement même des milliers d’oiseaux les entouraient.

«Prince, voici votre armée. Voyez comme la réalité, parfois, peut être belle. »

Mais à terre, déjà, les fusils se chargeaient, prêts à ouvrir le feu.

Cependant, lorsque les hommes et les femmes aperçurent Grand Rêveur, tous baissèrent leur arme et un murmure se répandit dans chaque village et ville que l’armée survolait :

«Un enfant…»

Alors le jeune prince quémanda :

«Libertin, s’il te plaît, faisons demi-tour.

- Pourquoi ? Rétorqua l’oiseau surprit.»

Grand Rêveur marqua alors un temps de silence avant de répondre :

«Traverser la Ligne n’était pas seulement mon rêve mais celui de tout mon peuple et il ne pourra être exhausser que lorsque, tous, nous l’aurons réalisé.»

Obéissant alors le roi et son escorte s’en retournèrent vers la muraille.

«Tu es sage petit ; malgré la haine que tu portes en toi et l’armée dont tu disposes désormais, tu n’as pas songé à ravager le pays.

- Tu te trompes, rectifia l’enfant, j’y ai pensé lorsque je t’ai demandé de faire demi-tour ; j’ai même hésité. Seulement je me suis dit que s’ils n’avaient pas tirés sur nous, c’est qu’il leur restait encore un peu de bonté et que je me devais de la protéger.»

De retour devant la muraille, l’armée des anges plongea vers la porte de marbre interdisant le passage de la Ligne et, dans un même élan de volonté, la brisèrent en milles morceaux.

Grand Rêveur redescendit alors sur terre et, lorsque le nuage de poussière fut retombée, il s’exclama:

«Entrez Réfugiés, le rêve, parfois, rejoint la Réalité ! »

Et lorsque la foule eut franchie la porte, les yeux de l’enfant se reportèrent sur le sol et il sourit : les décombres de la muraille recouvraient la Ligne.

«On ne peut effacer la réalité, murmura Libertin, seulement l’enfouir et l’ensevelir sous quelques rêves…»


«Grand-père, c’est quoi un réfugié de la réalité ?

- C’est un rêveur qui a fuit la réalité d’un monde pour se réfugier dans le rêve d’un autre. Nous sommes tous quelque part des réfugiés de la réalité.»

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10th février 2010

Réfugiés de la réalité (1/2)

Salut !

Je vous présente aujourd’hui un conte écrit pour le club Unesco dont je fais parti. J’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire et j’espère que vous en prendrez encore plus à le lire !

Bye et bonne lecture.

Réfugiés de la réalité (2/2)

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Réfugiés de la réalité (1/2)

«Un jour, du ciel, l’armée des anges descendra guidée par son prince et elle viendra nous ouvrir les portes du paradis, mais seuls les rêveurs croient encore à cette légende.

- Grand père ; c’est quoi un rêveur ?

- C’est quelqu’un qui espère, en vain, de tout son cœur.»


Il était une fois un enfant du nom de Grand Rêveur. Sa famille l’avait nommé ainsi car ses rêves étaient très différents de ceux des enfants de son âge. Il ne rêvait pas du dernier jouet sorti dans les magasins, ni d’une montagne de glace au chocolat, ni même d’un parc d’attraction ; ses rêves étaient trop grands pour que ses parents puissent les exhausser.

Assis à califourchon sur un baril vide de pétrole, se balançant lentement d’avant en arrière, l’enfant rêvait.

Il rêvait qu’au loin les feux s’éteignaient et que les fusils se taisaient, il rêvait que les immenses décharges bordant son bidonville étaient de gigantesques et luxuriantes forêts, il rêvait qu’un soir, en se couchant sur sa paillasse il n’entendrait plus les lamentations de son estomac. Mais surtout, surplombant tous les autres, trônait Le Rêve, celui là précisément que les enfants formulent lorsque les adultes leur demandent quel est leur souhait le plus cher.

Grand Rêveur rêvait qu’un jour, lui et sa famille, pourraient enfin traverser la Ligne.


Souvent le soir lorsque Grand Rêveur refusait d’aller dormir, son grand-père s’asseyait auprès de lui et, en regardant le ciel, ils rêvaient.

«Grand-père, pourquoi notre pays est-il en guerre ; je ne suis pourtant fâché contre personne ? » questionna une nuit l’enfant tandis que l’horizon venait de s’allumer comme une bougie, très vite soufflée, avant que ne leur parvienne les applaudissements des bombes.

«Ce n’est pas notre guerre mon enfant mais celle des pays riches. Une bataille vois-tu, cela fait des dégâts, ça détruit des villes, des vies pour la plupart innocentes et ça plonge le pays dans le feu et le sang. C’est beaucoup moins risqué pour ces égoïstes nations de mener chez nous leur combat. Regarde toutes ces poubelles ! C’est pareil. C’est plus facile de les stocker dans des pays faibles, obligés de se taire. »

Grand Rêveur se souvenait de son village natal si paisible, de ce jour où pour la première fois il connut la peur, de leur fuite effrénée et de cette phrase qu’avait prononcée il y a très longtemps son grand-père :

«Restons ici, plus loin c’est la Ligne. »

C’est pourquoi, les yeux rivés vers l’horizon, l’enfant demanda :

«Montre moi la Ligne. »


A chaque âge appartient une expérience. Petit on apprend à lire et à écrire, plus tard à devenir indépendant…Chacun de ces apprentissages nous transforme à un moment précis de notre vie mais il y en a un qui ne se situe dans aucune tranche d’âge mais qui, plus que tous les autres, modifie notre perception du monde.

Cette expérience, soit nous la découvrons par nous même, soit elle nous est imposée.

Il n’y a pas d’âge pour affronter la réalité.


Grand Rêveur marchait à longues enjambées afin de suivre l’allure rapide de son grand-père. Tous deux se taisaient.

Soudain devant eux apparut une immense muraille s’étendant à perte de vue, un mur recouvert de fer barbelé au pieds duquel était tracé en blanc une ligne : La Ligne.

«De l’autre côté c’est le bonheur, la profusion, la richesse. Ils se sont entourés pour se protéger de la honte de l’égoïste possession. Des vigiles sont postés de partout sur la Ligne ; nul ne l’a jamais franchi vivant, dans un sens ou dans l’autre.» déclara l’ancêtre.

Grand Rêveur approcha ses pieds jusqu’aux limites de la Ligne.

«N’y a-t-il vraiment rien qui n’entre ou ne sorte de ce riche pays ? »

Pendant un long moment son grand-père réfléchit avant d’expliquer :

«Même les oiseaux ne traversent plus la Ligne, on ne sait pourquoi.»

Alors tout deux regagnèrent leur bidonville.


Toute la nuit les images de la Ligne et de la muraille hantèrent le sommeil de l’enfant. Il revoyait la fine marque blanche semblant presque tracée à la craie et le mur de terreur s’élevant à plus de six mètres de haut.

«Pourquoi ont-ils peur de moi, demandait Grand Rêveur, est-ce un crime que de rêver à un monde meilleur ? »


Le lendemain Grand Rêveur retourna voir la Ligne. Elle le fascinait et l’effrayait à la fois car il ne comprenait pas comment quelque chose d’aussi ténu pouvait être à lui seul la cause de tous les maux d’un peuple.

Après l’avoir contemplé un long moment l’enfant s’accroupit soudain auprès d’elle et, pris dans un élan d’espoir et de rage, il déchira un pan de sa tunique et se mit à frotter la Ligne de toute la force de ses fébriles mains.

Cependant, plus il grattait le sol plus le nombre de plaie sur sa peau augmentait et plus il sentait en lui la haine grandir.

«Non ! Je ne dois pas haïr ! C’est par la haine que le malheur et la douleur se fraient un chemin dans nos cœurs. C’est par la haine que les guerres commencent. » Grand Rêveur secoua la tête le visage crispé :

«Je ne veux pas devenir un monstre comme eux…»

Tout à coup il sentit une vague d’air lui rafraichir le visage et une voix stridente s’exclama :

«Ne t’inquiètes pas petit enfant, jamais tu ne pourras leur ressembler car même si tu en venais à les haïr de tout ton cœur, ce n’est pas un morceau noirci de tissu ou tes mains tremblantes qui feront de toi un meurtrier. Seul l’argent te le permettrait. »

Grand Rêveur abandonna sa tache et se retourna. A ses côtés se tenait un magnifique oiseau au plumage blanc.

«Qui es-tu ?» questionna l’enfant.

L’animal se redressa de toute sa hauteur, bomba le torse et déclama :

«Je m’appelle Libertin et je suis le roi des oiseaux.»

Soudain Grand Rêveur se remémora sa discussion de le veille :

«Si tu es un oiseau, qui plus est leur roi, pourquoi ne traverses-tu pas le Ligne ?

- Il y a des années, lors de la construction de la muraille, nous fûmes chassés de ce pays pour des raisons toutes aussi futiles les unes que les autres.»

L’animal tourna la tête en direction de la Ligne, songeur.

«Avez-vous depuis tenté de retourner dans l’enclave ? Demanda Grand Rêveur.

- Jamais, murmura l’oiseau, nous serions fusillés.»

Le visage dur l’enfant s’exclama :

«Vous êtes peureux et lâches.»

Mais le roi se tut.

Une ombre passa alors au dessus de cet étrange couple et l’oiseau déclara avec un sourire :

«Seul le Nuage est autorisé à franchir la Ligne. Chaque année il surgit au dessus de nos têtes avant de disparaître derrière la muraille.»

Le pâle tissu blanc traversa le ciel puis sauta de l’autre côté de la Ligne.

«Dans un an, à la même heure, nous le retrouverons.»

L’oiseau s’envola alors laissant l’enfant seul. L’animal ne savait pas qu’il venait de donner à Grand Rêveur une nouvelle raison d’espérer.

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