Souffle Mots

Les lumières de l’automne (2/2)

20th février 2016

Les lumières de l’automne (2/2)

Salut !

Oula, cela fait longtemps que je n’ai pas posté ! J’en suis même venue à oublier le dernier texte posté ! Et notamment qu’il devait y avoir une deuxième partie. Je vous la présente donc aujourd’hui, en espérant que vous vous souviendrez du début (ou que vous aurez la force de le relire).

Les lumières de l’automne (1/2)

Bye et bonne lecture !

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Les lumières de l’automne (2/2)

Il est des révolutions contre lesquelles il semble qu’on ne puisse rien faire. Toutes leurs pensées étaient rivées sur la destruction de la ville et il se retrouvait seul sur son muret face à la folie d’un peuple. Sa main errait doucement sur la pierre et s’agrippait parfois à son extrémité comme on resserre sa main sur le bras d’un être cher pour exprimer tous les mots que les lèvres assiègent. Il regardait les Hommes pointer leurs fusils sur les immeubles et ses nuits s’emplissaient petit à petit des cris des habitants rongés par le remord, de tous ces habitants qui se réveillaient le matin le visage creusé de cernes, incapables de chasser de leurs rêves l’ombre de la ville. C’était une guerre sans trêve, l’expression physique d’une révolution interne.

Lorsque l’enfant avait compris que leur objectif n’était autre que l’anéantissement de la cité il avait cherché à la protéger par tous les moyens. Ses petits doigts tiraient sur les manches des habitants pour leur demander d’arrêter mais ils ne remarquaient même pas les larmes dans ses yeux. Toutes les guerres devraient prendre fin par la simple requête d’un enfant en pleurs.

Un jour, ramassant sur le sol les pierres encore en état il tenta de rebâtir le mur de la cour de l’école. Je me souviens de ces briques : elles étaient rouges, un rouge un peu fané recouvert de poussière. Une à une il avait empilé les briques, les époussetant préalablement du bout de sa manche. Puis, tandis que sur la pointe des pieds il tentait de déposer une dernière pierre, la rumeur de la foule s’était faite entendre dans son dos. Sans même avoir eu le temps de s’écarter il avait été projeté au sol, invisible dans les yeux des fous, et avait tout juste pu relever la tête avant de voir son mur s’effondrer comme un château de cartes, comme un coquelicot aux fragiles pétales. Ce jour là un dessin apparu aux côtés des pierres fanées, premier d’une longue série.

Si les habitants souhaitaient ensevelir leurs souvenirs sous la poussière, lui espérait pouvoir rendre éternelle celle qu’il aimait. Mais il semblait que ses dessins, jamais, ne ramèneraient la ville à la vie.

Je me suis souvent demandé ce que les habitants pouvaient voir dans les murs de la ville et quels pêchés ils avaient pu commettre pour être ainsi assailli de remords. J’ai tenté d’en inventer, de bâtir de toute pièce les pires crimes imaginables. Toutefois j’ai vite abandonné : on ne peut inventer ce qui existe déjà. Il me suffisait de fermer les yeux pour voir se dessiner les Hommes adossés au mur, attendant l’impact de la balle ; les femmes que l’on plaquait contre la pierre pour mieux les violer et ces enfants se roulant en boule contre les briques pour se protéger des coups. Je revois ce mur de la cour de récréation contre lequel je m’adossais, espérant que cette fois personne ne viendrait me blesser de ses mots ; les murs des couloirs que je rasais et dans lesquels j’aurais aimé me fondre pour disparaitre aux yeux des autres et tous ceux que j’avais frappé, violence que plus rien ne maîtrise. Personne n’a envie de revenir sur les lieux de ses crimes, alors comment faire lorsqu’on vit dedans ?

Peut-être qu’au milieu de ces milliers de personnes rongés par le remord, certains souhaitaient simplement voir disparaître la cité pour ne plus fouler tous les jours ces lieux marqués par leurs larmes. Si la ville avait été de fer, je crois qu’elle serait désormais couleur de rouille.

Une légende raconte qu’un enfant serait un jour venu se perdre dans les rues de la ville. Il aurait toqué à la porte massive de l’enceinte que nul jamais ne franchit et elle lui aurait ouvert son cœur.

Parfois, assis sur le rebord d’un muret ou d’un trottoir, indifférent à l’agitation alentour et au jour décroissant, certains le surprenaient à remuer les lèvres sans pouvoir entendre les mots qu’il murmurait, souvenirs d’enfance dont seules les images subsistent. Quelques uns prétendent qu’il complotait au cœur même de la cité, d’autres qu’il lui récitait des poèmes d’amour pour la séduire. Je crois, moi, qu’il lui racontait simplement sa journée avant de lui dire bonne nuit.

Le regard qu’il portait sur la ville était différent de celui des autres habitants : au lieu de fixer les cicatrices il s’attardait sur l’éclat des yeux, repoussant l’horreur il venait s’accroupir près d’un sourire. Il la trouvait belle comme elle était, avec ses vieux cimetières en ruine et ses tours de béton armé. Peut-être parce qu’il s’endormait tous les soirs au creux de ses bras ou parce qu’il apercevait, au travers de la muraille, les champs de blé passés. Peut-être parce qu’il avait trop d’espoir pour s’arrêter aux erreurs de l’humanité.

Petite je disais toujours que je n’aimais pas la ville et que je voulais vivre à la campagne. Je n’aimais pas ces murs m’emprisonnant alors que je ne demandais qu’à courir, libre, dans les prairies. Je n’aimais pas ces rues emplies du bruit de la foule et de celui des voitures masquant le chant des oiseaux et le rire du vent dans les arbres. Je ne supportais pas tous ces gens autour de moi qui m’épuisaient, leurs regards qui nous font courber le dos et leurs remarques venant se nicher au creux de nos cœurs pour attendre l’instant où ils pourront germer.

Je détestais la ville mais j’y ai passé les 20 années de ma vie et en passerait encore beaucoup. J’y ai tant de souvenirs…

Petite je fuyais, disparaissant au sein de mes mondes que je peuplais de montagnes et de prairies, de forêts et d’animaux sauvages. Aurais-je détruit les villes si j’avais pu ? Aurais-je détruit ma ville ?

Je ne crois pas. On ne peut pas détruire nos souvenirs, on les fuit juste le temps de pouvoir retourner sur les lieux de leurs baptême et leur faire face.

Je n’aurais pas voulu faire disparaitre cet enfant.

C’était l’automne, triste saison qui pleurait. Les habitants avaient fini par abattre jusqu’aux arbres et dans le parc les troncs se mêlaient désormais aux feuilles mortes. Leur écorce humide commençait à se recouvrir de mousse et leurs branches alignées sur le sol semblaient vouloir ramasser les souvenirs envolés. Assis au sommet d’un des derniers arbres encore debout, un enfant dessinait. Il dessinait chaque feuille que les baisers du temps avaient rougis et leurs reflets sang dans les flaques d’eau, ces feuilles que les habitants avaient froissé, piétiné, déchiré. Il dessinait un rêve qui s’effritait déjà dans les mémoires comme on pose sur papier nos mondes nocturnes, comme on ferme les yeux pour se repasser les instants de nos vie que l’on se refuse d’oublier. Alors, juché en équilibre précaire sur sa branche, les yeux rivés sur un présent fané, l’enfant ne vit pas qu’un homme s’approchait, une hache à la main. Il ne vit pas l’acier se planter dans le bois à en faire vaciller l’arbre et aperçut seulement le monde qui soudain chavirait. Peut-être aurait-il pu se raccrocher à une branche s’il avait lâché son carnet de croquis mais cette idée ne l’avait même pas effleuré : il ne voulait pas perdre la ville une deuxième fois.

Ce jour là un homme vit 1m47 d’espoir tomber de l’arbre, sa hache à la main. Il vit une luciole battre des ailes avant de chuter, un petit bout de lumière s’enfoncer dans l’obscurité. Comme tous les habitants il avait participé à la destruction de la cité, jamais il n’avait hésité. Cependant, en cet instant précis, il sut que s’il ne lâchait pas son arme, s’il ne tendait pas les bras pour rattraper l’enfant alors sa vie n’aurait plus aucun sens. Ce petit garçon lui était complètement inconnu mais il dut sentir que son salut se trouvait peut-être en lui et qu’il n’avait pas le droit de laisser s’éteindre le dernier être qui, dans cette ville, n’était pas tâché de rouge.

Ce jour là, au beau milieu d’une cité à feu et à sang, deux mains en coupe se joignirent pour sauver une petite luciole de l’oubli. C’était l’automne sur la ville.

Vous êtes-vous déjà demandé comment quelque chose d’aussi petit pouvait percer des ténèbres aussi profondes que la nuit ? Pourquoi notre regard se raccroche désespérément à ce point de lumière vacillante et semble encore plus perdu lorsqu’il disparait ?

Ce que j’aime le plus dans les lucioles ce sont ces instants où elles s’éteignent et où on part à la recherche de l’endroit où elles réapparaitront, notre cœur expérimentant sans cesse la joie de la naissance de la lumière.

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27th septembre 2015

Les lumières de l’automne (1/2)

Salut !

Voici la première partie d’un texte écrit je ne sais plus quand ! Début d’année dernière mais plus précisément je ne peux vous dire.

Bye et bonne lecture !

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Les lumières de l’automne (1/2)

Au soleil couchant le cessez-le feu avait été déclaré. Les rues, plus rouges que l’horizon, avaient été désertées, chacun allant chercher un peu de sommeil derrière son mur gris, sa maison de barbelé. Les façades de pierre s’effritaient dans le vent comme si elles euent été de sable, comme un tombeau enfoui volerait en éclats sous les rayons du soleil. Chaque jour dans les rues de nouvelles artères voyaient le jour, implosion d’une ville au goût de poussière, et les couleurs semblaient s’être envolées du monde sur le dos des oiseaux ayant fuit peu de temps auparavant. Seul subsistait le blanc des visages et des pupilles immobiles, le noir des nuits sans étoiles et le rouge de l’horizon mis à mort par la Lune. Le gris au fond n’était que le doute des paupières mi-closes tentant d’observer le paysage tout en refusant la pâleur des corps.

La nuit, après que tout le monde se fut assoupi, le vent au travers des avenues donnait à la ville une respiration aux allures de râle qu’entrecoupait parfois le crissement d’une mine sur le papier. Assis en tailleur au milieu d’une ruelle, de dos on eut dit un grand manteau gris suspendu dans les airs tandis qu’à ses pieds gisait le sol meurtri, dénudé par le vent. De face toutefois il semblait moins effrayant, enfant tenant entre ses mains un petits calepin aux bas de page cornés par le temps et la violence. Ce soir là il s’appliquait à dessiner un coquelicot et voulait le faire si beau qu’il aurait pu séduire toutes les abeilles. Lorsque son crayon dérapait il humidifiait son index du bout des lèvres avant d’effacer la bavure. Son ouvrage achevé il décrocha la feuille, la déposa sur le sol puis fit demi-tour. Peu après, lorsque la poussière eut repris ses droits, elle découvrir aux côtés du croquis un coquelicot fané, emporté par les déflagrations des combats. J’aurais bien voulu embrasser ses pétales encore rouges.

Au fond inventer une histoire c’est un peu comme essayer de se rappeler d’un lointain souvenir, un de ces souvenirs d’enfance aux proportions déformées et où les jardins de jeux ont la taille des forêts. Le cadre est flou et les protagonistes sans visage. Petits êtres dans la tumulte ils lèvent les yeux vers le ciel sans comprendre. Pourquoi pleurent-ils ? A l’arrière d’une voiture, à moitié assoupies, de frêles oreilles se tendent pour saisir des mots, des idées et rajouter ainsi quelques touches de couleurs à leurs mondes. Dans l’étourdissement du sommeil tout n’est alors plus que flashs de lumière et de son : ils dessinent des portes sans maison et des arbres qui se fanent, bercent des rêves au creux de leurs bras avant de relier les étoiles pour leur jouer un de ces airs que les parents fredonnent aux enfants. Se souviennent-ils seulement pourquoi le coquelicot ne respire plus ?

Voici l’histoire d’une ville, une ville sans époque ni pays, ruine crachant de la poussière comme d’autres du sang. C’est l’agonie d’une cité ayant atteint son apogée, la démence d’un monde dont le squelette vacille, trop lourd de ses péchés. Son peuple a depuis longtemps disparu, prenant les armes pour la détruire. Ils n’entendent même plus sa complainte, mélange de détresse et de colère, effrayante résignation d’un être qui sait que jamais il ne pourra lever la main sur ses enfants. Pourtant, plus le temps passe plus il devient évident que la population ne survivra pas à la chute de sa cité : leurs corps se font plus maigres à mesure que les ruelles disparaissent et leurs peaux semblent devenir aussi blanche que la Lune. Certaines femmes en viennent même à se coudre sur les lèvres des pétales de coquelicot pour leur redonner le rouge d’antan. Un seul habitant refuse la mort de la cité et tente de la protéger : un petit enfant au long manteau gris. Il parait qu’il est tombé amoureux d’elle il y a longtemps.

Lorsque je regarde la ville désormais je peine à me souvenir de son visage d’antan, reconnaissant tant bien que mal ses traits sous les cicatrices. Toutefois si les images sont floues les sentiments, eux, sont restés intacts et je ne peux m’empêcher de poser sur elle un regard empli de respect et d’admiration. C’est face à la douleur que l’on reconnait les plus grands Hommes. Je me souviens de ses immenses boulevards où fourmillait la vie, du ballet de la foule et de la lumière interprétant ses plus beaux reflet sur les parois des tours, miroir d’un coucher de soleil. Je revois les étoiles de la ville s’allumer une à une sur les frontons des boutiques tandis que descendait le lourd rideau de la nuit, poursuivit chaque fois par les longs manteaux gris, ombres chinoises errant dans les rues assoupies. Si seulement j’avais su dessiner, peut-être aurais-je pu ranimer la ville pour lui rendre la splendeur de nos souvenirs.

Il était né il y a bientôt dix ans loin de la ville et nul ne pouvait dire si c’était dans le village voisin, la forêt en bordure ou une lointaine contrée car tous ignoraient le visage du monde hors de l’enceinte de la cité. Assis sur le rebord d’un muret jouxtant un ancien cimetière, ses jambes se balançaient dans le vide tandis que son regard errait dans les rues rougies par le soleil. Depuis combien de temps dessinait-il la ville ? Il ne s’en rappelait plus. Ni de cela ni du nombre de feuilles griffonnées qu’il avait déposé sur le sol, les murs ou les bâtiments. Il n’avait, je crois, même pas compté. Lançant sa jambe au dessus du muret il fit pivoter son buste pour faire face au cimetière. Compte-t-on lors d’une guerre le nombre de personnes auxquelles on ôte la vie ? Ne préfère-t-on pas l’oublier ? Les tombes alignées tombaient en ruine alors même que cette partie de la ville n’avait pas encore été saccagée. Peut-on seulement l’oublier ? Se chevauchant les unes, les autres on eut dit que les tombes se soutenaient tandis que sur une plaque de marbre gisait le corps fatigué d’une rose rouge. Ses pétales ridées se reposaient sur une feuille de papier à leurs côtés, un peu jaunie, comme si elle voulait annoncer la venue prochaine de l’automne. Dépose-t-on des roses en hommage aux êtres qui nous étaient chers ou pour offrir à ces fleurs une digne sépulture ?

Une révolution n’arrive jamais au hasard et on ne peut dire non plus le jour où elle naquit. Elle est le fruit d’une longue maturation des sentiments initiée par le bourgeonnement d’une fleur sur laquelle un grain de pollen vint un jour se poser. Toutefois je sais que toutes les révolutions fleurissent dans les cœurs. Le soulèvement de la population débuta derrière le voile d’une vie en apparence tranquille et bien peu auraient pu dire que le fruit, gorgé de remords, tomberait un jour de l’arbre. On eut dit un de ces hivers qui s’installent sans qu’on ne les entende arriver, déposant les prémices du froid flocon par flocon. C’était le 8 décembre, l’air se troublait sous la respiration des passants et sur les trottoirs enneigés le temps, imperceptiblement, venait recouvrir les traces de pas. Les gens se croisaient sans se saluer ni même se reconnaître, enfonçant leur menton dans le col redressé de leurs longs manteaux tachés de blanc. Je me suis souvent demandé pourquoi cela avait eu lieu un 8 décembre car rien ne prédestinait ce jour à marquer le début d’une nouvelle ère. Aujourd’hui cependant, avec le recul, je me dis que pour quelqu’un dans cette ville le fruit était soudain devenu trop lourd. Je ne sais plus si c’était un homme ou une femme, un enfant ou vieillard. C’était quelqu’un, c’est tout. Quelqu’un qui depuis longtemps déjà avait dû détourner le regard des murs des bâtiments et des pavés pour finir par rentrer chez lui en courant, les yeux à demi-fermés. Quelqu’un qui revoyait dans chaque brique, chaque arbre, tuile ou lampadaire les remords d’un peuple et les souvenirs que l’on tente d’oublier. Quelqu’un qui ne pouvait plus regarder le reflet de ses actes dans le miroir de la ville. Le 8 décembre, en rentrant chez elle, cette personne s’était alors arrêtée face au muret jouxtant le portail d’un vieux parc. Sortant un couteau suisse de sa poche, la lame avait taillader le mur sans relâche jusqu’au soleil couchant. Jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus y voir la moindre parcelle de son visage. Quelques jours plus tard ce parc n’existait déjà plus.

Après avoir inventé cette histoire j’ai pensé à lui. C’était, je crois, la première fois qu’une histoire me ramenait à un homme. Toutefois ce n’est pas l’homme qui m’est venu à l’esprit mais l’être : son côté pessimiste, résigné ; ses mondes sans espoir voués à l’oubli et ses personnages déjà morts. Aurait-il inventé un tel univers ? Au début je le pensais. A chaque fois que j’allumais dans mon esprit les lampions de la ville je songeais à lui et me demandais ce qu’il en penserait lorsque je la lui montrerai. L’aimerait-il ? Je réalisais cependant plus tard que ce n’était pas son monde. Les gens ne le savent pas mais on les glisse un peu tous dans nos histoires. Parce qu’ils sont loin et qu’ils nous manquent, parce qu’on tient à eux un peu plus qu’on ne veut se l’avouer, parce qu’on voudrait leur parler mais qu’on ignore comment et leur transmettre un message qu’ils refusent d’entendre. Jamais il n’aurait inventé, je crois, ce personnage. Différence d’un mètre quarante-sept. Aurait-il dessiné le rouge des lèvres aimées ? Tous mes mots sont bleus.

Lorsque la première pierre a commencé à rouler, le sol se dérobe sous les pieds des autres. C’était comme si, la première entaille faite dans le muret du parc, plus rien n’aurait pu arrêter la révolution de se mettre en marche. Ceux qui, depuis des décennies, avaient tourné le dos à la réalité et fermé les yeux sur le passé virent resurgir dans la faille l’ombre des souvenirs prisonniers et découvrirent sur leurs mains le sang séché des années d’indifférence. Alors, comme muent par un invisible besoin, les habitants cessèrent petit à petit leurs activités quotidiennes pour se munir de marteaux et de pioches. Ils voulaient détruire la ville de leurs propres mains, sentir trembler la pierre et piétiner la poussière. S’ils avaient pu effacer leurs souvenirs ils l’auraient fait mais, à l’inverse, chaque coup infligé à la ville réveillait en eux la douleur des remords. Ils ressemblaient à ces animaux pris au piège qui se débattent avec d’autant plus d’ardeur que l’étau se referme autour de leur cœur.

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22nd décembre 2014

Dans le reflet d’une image

Salut !

Jacky m’a fait remarquer récemment que ça faisait longtemps que je n’avais pas posté sur mon site, et pour cause !

Je vous présente alors aujourd’hui un texte écrit l’année dernière, en fin d’année scolaire vers les vacances de Pâque je suppose mais je n’en suis pas très sure. Il est assez abstrait par moment, j’espère ne pas vous perdre ^^ sinon n’hésitez pas à me demander des explications !

J’en profite pour vous souhaiter un Joyeux Noël et une Bonne année.

Bye et bonne lecture.

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Dans le reflet d’une image

Lorsque les personnages naquirent ils étaient comme des nuages dont les contours encore flous, ne demandent qu’à être façonnés par le vent. Alors doucement le murmure des lèvres modelait leur visage pour dessiner l’histoire d’une femme-papillon et d’un Prince au château de sable, d’un ange veillant sur eux et d’une plume amoureuse. Les fleuves et les ruisseaux, sur le grève toujours se rejoignent et un gravier dans leur sein peut assécher l’océan. Ce soir là la pierre avait la taille de mon poing.

***

Sur son nuage un ange pleurait, enroulé dans ses ailes pour ne plus voir la lumière du jour. Il pleurait comme sonne le tonnerre dans la nuit. Je ne sais plus d’où venait ses larmes : il était de ses lacs qui se gorgent de la pluie des moussons avant de sortir un jour de leur lit. Caché sous ses plumes de nacre son corps tremblait, petit oisillon se débattant dans la gangue de sa coquille. Tout avait commencé par l’onde d’un galet à la surface de l’eau, un détail ; par une plume tombée du ciel entre les mains d’un enfant. Seules quelques années séparent le frémissement de l’eau de la vague. Se levant soudain, les ailes à moitié repliées et le dos voûté, il saisit à chaque main une plume, l’arracha puis la jeta dans le vide. Tout contrastait : la violence de son geste et la lente chute des plumes dérivant au grès des courants ; l’envergure de ses ailes et les larmes si petites, qui roulaient le long de ses joues ; son corps d’adulte et son regard d’enfant perdu, figé des années auparavant. Il se souvenait d’une femme et du rire d’un enfant, image d’un souvenir éclaté en des dizaines de tableaux, en des milliers de mots.

J’aurais voulu savoir lire ceux qui glissaient de sa joue.

Il était une fois un Prince, assis en tailleur au centre du son château. Regardant fièrement son royaume en cette fin d’après-midi, la brise caressant sa peau lui soufflait la venue prochaine de l’automne tandis que le ciel en prenait la teinte. Sous le soleil couchant les remparts rougeoyaient et, sur le sol, l’ombre du fanion commençait à se troubler. Comme si les yeux, déjà, s’embuaient de larmes. Perdu dans sa contemplation le Prince percevait en arrière fond l’agitation des bâtisseurs posant les dernières pierres à leur ouvrage ainsi que l’éclat de l’eau des douves semblant maculée de sang, prémisse de la bataille à venir. Il regarda à l’horizon. Son château était si petit face à l’envahisseur, si fragile. Un grain de sable…

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Un corps à moitié nu. La poitrine se soulève doucement puis de façon de plus ne plus saccadé. Hoquet. Ses cheveux ramenés sur sa peau telle la vague sur la grève, elle pleure. Douleur . Elle pleure à s’en faire mal ; comme les anges qui pour renier la vérité, en viennent à couper leur ailes. Dans ses yeux le papillon s’est envolé. Alors, loin de la chrysalide le monde devient un autre : violent.

Le drap sur ses cuisses et l’air frais qui s’y engouffre.

La goutte d’eau sur l’aile du papillon et le filet se profilant devant lui.

La main qui l’attrape par la taille puis le silence.

Petite on m’avait dit qu’il suffisait de toucher l’aile d’un papillon pour que plus jamais il ne vole.

On l’avait pris par la main et traîné hors de son royaume, otage de la réalité. Tout était fini. Les bâtisseurs étaient rentrés chez eux et il ne restait sur la grève plus que lui et cette main le tirant en arrière. Elle tenait fermement son poignet et sa peau, usé par le temps, n’avait plus la douceur des siennes ou des autres enfants : elle était de ces mains sur lesquelles les couronnes n’ont pas d’emprise. La nuit allait bientôt tomber et s’il devait rentrer avec sa mère, le jeune Prince ne pouvait cependant s’empêcher de songer au devenir des rêves réfugiés entre les murs du château. Dans son esprit la bataille, déjà se jouait mais il ne pouvait qu’observer. Elle avançait lentement, bataillon par bataillon, immense armée de l’océan. Elle avançait et l’enfant reculait, ses pieds foulant le sable comme s’il eut voulu lancer la cavalerie au grand galop. Très vite le château fut à portée de tir et, après chaque assaut de l’infanterie, l’écume décochait une volée de flèches à la pointe salée. L’imaginaire hurlait et il avait beau plaquer ses mains sur ses oreilles, il continuait de l’entendre. Puis, l’eau emplissant lentement les douves, ce fut le siège. Cependant le ciel était d’encre et le Prince déjà loin. Jamais il ne vit les remparts s’effriter avant de tomber en ruine, l’eau pénétrer à l’intérieur telle une marée de soldats, combler les fossés et recouvrir les ruelles avant de tout emporter, de tout effacer. Au début le reflux de l’océan laissait apercevoir les décombres de la cité engloutie, telles les danseuses jouant avec l’ourlet de leur jupon pour attiser le désir des hommes. Néanmoins en quelques minutes ce fut comme si le château n’avait jamais existé. Alors, quelques heures plus tard, allongé sur son lit les yeux grands ouverts, le bruit des vagues l’empêchant de dormir, il imagina.

Et dans ses rêves le palais ressuscita.

Un regard entre la peur et le défi ; la honte et l’envie. Une main immobile qui voudrait se tendre pour saisir l’invisible telles les serres d’un rapace guettent la proie. Se pencher et t’embrasser, menace.

Un stylo. L’apprivoiser, doucement, comme l’oiseau caresse l’eau du bout de ses ailes. Du bout de nos doigts.

Une plume tombée des nuages, passerelle entre le ciel et la terre. Elle pleure : la main est partie, blessée par de l’encre et sans elle la plume ne sait ordonner aux images de danser.

J’aimerais pouvoir la consoler mais je ne trouve pas les mots.

L’ange avait échoué, incapable de les protéger. Le papillon avait perdu ses ailes et le Prince son château. Lentement, alors que tout espoir l’abandonne, des pans de son nuage tombent en lambeaux.

« Maman ! Il y a quelque chose dans l’eau ! C’est quoi ? »

Les yeux fermés comme s’il voulait garder en lui encore un peu d’innocence, le monde alentour ne lui parvient plus que par brides.

« Je ne sais pas, tu veux qu’on aille voir ? »

Des bruits de pas étouffés par la grève, le clapotis de l’eau comme le rire cristallin d’un enfant…

« Une plume ! On dirait celle d’un ange Maman. »

…comme le cri d’un ange qui n’a plus de nuage. Une histoire sans personnages.

« Tu crois que ça pourrait être le drapeau de mon prochain château ? »

Deux paupières qui se lèvent comme pour laisser entrevoir l’aube. Soudain quelque chose le retient : une main à moitié nue. Ses doigts sont vêtus d’encre.

« Vole ! »

Sur la grève un enfant court une plume à la main et le bras dressé vers le ciel comme s’il eut voulu faire de la plume un oiseau tandis que dans les yeux d’une jeune femme un papillon se met à danser.

Vivants.

Ou peut-être que tout ceci n’est qu’une image…

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8th mai 2014

En noir et blanc (1/2)

Salut !

Je sais, je n’ai plus posté depuis trèèès longtemps. Désolé. En février ça n’allait pas trop.

Voici cependant un texte (enfin !) ou plutôt un conte, écrit cet été en Août. Vu qu’il fait 8 pages d’ordi je le mettrais en deux parties ^^

J’espère que ce conte vous plaira et si vous avez des questions, n’hésitez pas !

Bye et bonne lecture.

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En noir et blanc (1/2)

« Tu m’emmènes voir la mer ? »

C’était un enfant. Un de ces enfants-papillons à qui on écrit des lettres avec une plume et pour qui on invente des histoires de Lune suspendues aux toits des maisons.

« Non, plus tard. » répondis-je le regard dans le vague. Il fit une moue désapprobatrice.

« Pourquoi ? »

Comme une impression de dialogue entre deux êtres qui croient déjà tout savoir l’un de l’autre.

« Elle est loin la mer »

Il était assis, rêveur, au bord du trottoir, sur une chaîne de métal reliant deux poteaux et il se balançait d’avant en arrière.

« Ça veut dire quoi « loin » ? » demanda-t-il en appuyant plus que de coutume sur ce dernier mot.

Comme échappant au fil de mes pensées mon regard se posa sur ces feuilles suspendues aux branches des arbres, trop loin pour que je puisse les saisir puis sur ce ciel si haut qu’il me semblait que je ne pourrais jamais le rejoindre. Je songeais alors à ces êtres que l’on aime en secret, loin des mains et de leur caresse ; à ceux si proches et si loin en esprit, différence sans dimension ; à cette feuille blanche que mes doigts pouvaient toucher mais qui restait pourtant insaisissable.

« Rien, ça ne veut rien dire » C’était faux mais c’était plus simple. Au fond si je savais ce que « loin » signifiait, ne le ressentait-il pas lui aussi ?

Je me rappelle de ce silence premier puis de ces pensées qui se mirent à tambouriner dans ma tête, poursuivies par d’étranges tableaux ; de cette chaîne qui grinçait et de mon envie de crier à ce gosse d’arrêter de se balancer avant de réaliser que mes pieds aussi étaient suspendus au dessus du sol.

« Ça ressemble à quoi la mer ? »

Souvenirs.

« A un ciel un peu trop fatigué qui s’est endormi sur la terre

-Pourtant personne ne se baigne dans le ciel. » répliqua-t-il.

Je souris et lui désignais les étoiles du bout du doigt.

La nuit était tombée, lentement, comme si elle venait de très loin.

« Change de rôle » Étrange voix dans ma tête.

On avait pris le chemin du retour et je lui avais dit que les oiseaux, pour eux rien n’était loin. Depuis il veut que je lui couse des plumes dans le dos mais je n’ai pas osé lui dire que je n’aimais pas les aiguilles.

« Change de rôle » Incompréhension.

Je lui ai promis de lui montrer la mer un jour dès qu’il serait grand. Pourquoi attendre ? Ça n’avait aucun sens. Peut-être parce qu’à cette époque je ne pouvais pas lui offrir ce qu’il souhaitait.

« Change de rôle » Une peur.

Il m’avait demandé quand est-ce qu’il serait grand. Je n’avais pas su répondre : je crois qu’on a le même âge.

« Change de rôle » Comme une porte vers l’inconscient.

Je saisis ma plume et commençais à coudre des lettres sur la feuille blanche. Alors, peut-être qu’il pourrait s’envoler.

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Il avançait, seul au milieu du paysage. Ses bras faisaient un angle de 90° avec son corps comme s’il eut voulu toucher les plumes des oiseaux qui le frôlaient, étrange funambule.

Il marchait au dessus de la cime des arbres en direction du Soleil couchant qui se découpait à l’horizon. Le ciel était rouge et les lignes sous ses pieds de rouille.

Parfois il s’asseyait en tailleur pour regarder en bas l’épaisse forêt parsemée de crevasses, corps dénudé de la Terre. Des bouts de ferraille pendaient aux branches des arbres tandis que dans les puits de poussière des chaînes de métal sortaient du sol.

En ce soir d’automne même les feuilles étaient de rouille et seule la blancheur des oiseaux contrastait avec le tableau. Peut-être était-ce des colombes ou bien encore encore des goélands. Il espérait que ce fut ces derniers car alors cela aurait voulu dire que l’océan n’était plus très loin.

L’après-midi touchait à sa fin. J’attendais ma correspondance sur le quai d’une petite banlieue parisienne, de ces gares au nom composés, trop long, comme inversement proportionnel à sa fréquentation.

Quelques sièges étaient pris, d’autres libres. J’avais décidé de rester debout. Un observateur extérieur aurait cru que j’étais pressée et guettait fébrilement mon train des yeux en espérant saisir la meilleure place. En fait peu m’importait qu’arriva ou non ma correspondance, je voulais juste sentir la brise du soir dans mes cheveux et sur ma peau humide, sentir monter l’adrénaline à l’approche d’un train ne s’arrêtant pas en gare et qui semblait près à m’engouffrer. Appel d’air et de liberté.

Je voulais observer le chemin de fer qui s’étirait à l’infini, cette courbe légère qu’il prenait soudain avant de disparaître, les canettes abandonnées quelques mètres plus bas et dont on ne distinguait déjà plus les inscriptions…des canettes qui n’étaient plus que rouille.

Quelques fois je m’accroupissais au bord du quai, simplement pour avoir l’impression d’en être un peu plus proche. Envie de s’y noyer.

Mais surtout il y avait cet appel, comme une voix qui me murmurait à l’oreille de descendre sur les rails et de marcher sans autre but que de suivre la route jusqu’à son berceau et d’embrasser la liberté. Qu’il est palpitant d’aimer l’interdit.

Pourtant mes pieds toujours restaient figés, comme enchaînés.

Toute son enfance aurait pu se résumer en un mot ou plutôt en un lieu : le Tunnel, ce long couloir bien souvent désert sur les murs duquel étaient suspendus par des chaînes de vastes tableaux qu’éclairaient de faibles lampions et qui étaient répartis par rapport à un épais trait rouge séparant le tunnel en deux. En travers de cette ligne étaient gravés deux lettres : J-C pour Jour de la Catastrophe.

Il connaissait le Tunnel par cœur, les aspérités de la roche à éviter et les renfoncements naturels au creux desquels il pouvait se blottir les jours où les courants d’air se faisaient trop forts ; le nombre de pas séparant chaque tableau ainsi que leur dimension ; les endroits où l’eau ruisselait de la roche et qu’il tentait de combler ; le nom de chaque teinte et jusqu’à l’odeur particulière de chaque tableau.

D’aussi loin qu’il s’en souvienne il avait toujours passé le plus clair ses journées dans ce Tunnel, seul avec ses pinceaux et sa palette de couleur. Lorsqu’une goutte venait mordre un coin de tableau il s’empressait de recréer la teinte exacte et de le soigner. C’était son expression : « je soigne les tableaux ».

Toutefois le Tunnel était plus qu’un lieu : une part de lui même.

Comme tous les descendants des survivants de la Catastrophe il habitait le Souterrain mais était un des rares à s’aventurer dans le Tunnel. A ce dernier se raccrochait un nom et une identité : le Maître des Couleurs comme on l’appelait, ainsi que les regards curieux des habitants du Souterrain accompagnés de chuchotements à son approche. Sur la pierre était peinte la différence et la passion tandis qu’avec l’eau perlait la solitude et l’incompréhension de la plupart des habitants.

« Il est bizarre ce gosse » entendait-il parfois.

« Pourquoi il ne joue pas avec les autres ? » s’étonnaient les mères de famille.

Néanmoins certains lui témoignaient également de l’affection et ce qui ressemblait parfois à de l’admiration.

« Comment vont les tableaux, Petit Maître ? »

Une main qui ébouriffe ses cheveux.

« Pas trop froid là dedans ? »

A chaque fois qu’il commençait à grelotter il mettait un des pulls qu’on lui avait tricoté puis ramenait ses genoux sous son menton. Ça lui donnait l’impression que quelqu’un le prenait dans ses bras.

Les historiens l’appréciaient beaucoup et en dehors du Tunnel il passait la plupart de son temps libre chez eux, dans une des branches les mieux chauffées du Souterrain.

C’était comme un marché : l’enfant leur décrivait chaque tableau que le froid les dissuadait d’aller observer par eux même et en contre partie les savants lui parlaient de leur découverte et du temps d’avant la Catastrophe.

« Un nouveau est arrivé, peux-tu lui décrire les trois principales toiles ? » lui demandait-on parfois.

Il s’asseyait alors à un petit bureau en face du novice et commençait son récit, d’abord de façon très solennelle puis de plus en plus passionnée :

« Le premier tableau date d’avant J-C, il fait 3m50 de long sur 2m20 de haut et le cadre massif qui l’entoure est incrusté de pierres précieuses rehaussant le caractère terne de la toile et soulignant l’abondance de cette époque. Le premier est un rubis aux faces arrondies par… »

Un geste rapide de la main. L’enfant esquisse un sourire puis ferme les yeux tandis que quelques personnes s’approchent de la table.

« Je revois les immenses tours qui sortaient du sol puis se ramifiaient en bourgeons de métal. Le paysage était blanc et gris, monde bicolore environné de la lumière blafarde du Soleil au zénith. Chaque tour était reliée à ses voisines par une longue chaîne de métal de sorte que cet édifice entourait une vaste coupole centrale à la clarté inhabituelle.

-Le Puits… » murmura un historien, qui s’était joint au groupe. Toutefois l’enfant n’entendait plus rien.

« Et parmi ces chaînes, comme défiant la gravité, il y avait ces lignes que recoupaient d’autres lignes, ce quadrillage dont l’ombre se projetait sur le sol et les tours. Ce chemin de fer venait puis repartait, quittait une tour pour en rejoindre une autre avec sur le dos son chargement métallique, se noyait dans la coupole pour en émerger de nouveau avant de s’éloigner des tours et de… »

Il s’arrêta net, comme si on lui avait ôté tout air des poumons.

« Le premier tableau s’arrête là. » déclara un historien à la longue barbe posté derrière l’enfant, en direction de ce qui ressemblait désormais à une assemblée.

« Nous allons passer à la deuxième toile. »

Silence.

Alors l’enfant raconta le tableau comme s’il s’y trouvait. Il peignit la terreur face à la coupole en flammes et les gerbes de feu qui s’en élevaient puis il jeta en l’air quelques mots, crépitement de l’électricité quittant le puits avant de s’avancer vers les tours en s’accrochant aux chaînes et aux rails. Lorsque sa voix, tremblotante, se fit de plus en plus faible, ce fut pour griffonner dans les esprits en flash de lumière l’image d’oiseaux s’envolant d’un à pic, immenses trains chutant dans le vide.

Le regard dans le vague, comme épuisé, l’enfant s’était tût tandis que l’avait remplacé la voix monocorde d’un des historiens :

« Le troisième tableau date d’après J-C, il présente la particularité de… »

Le Maître des Couleurs n’écoutait plus. Il n’avait pas besoin d’écouter : il savait. Il lui suffisait de fermer les yeux pour voir apparaître dans le creux de ses paupières le paysage de rouille. Il pouvait rester des heures ainsi, à figer l’automne et la course du temps en regardant le Soleil assis sur l’horizon. Pourtant, même alors, un pan de son esprit restait noir. Non pas le noir mouvant de la nuit ni même celui feutré des ombres du Souterrain : un noir effrayant que rien ne pouvait décrire.

Sauf l’absence de couleurs.

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26th décembre 2013

Concerto pour un Coquelicot

Salut !

En ces fêtes de fin d’année je tenais à vous souhaiter un Joyeux Noël. Sous la demande de Jacky je vous présente aujourd’hui une sorte de conte écrit en octobre. Cela m’a pris un matin lorsque j’avais envie d’écrire, j’ai commencé sans savoir où cette histoire me mènerait vraiment, ce qui est très rare chez moi ! J’ai écrit ce texte sur l’air de la musique du film Origine.

Bye et bonne lecture.

Concerto pour un coquelicot

Sur un air de Mozart le monde s’était éveillé. Il avait entrouvert les paupières et, à moitié ébloui par le jour, sur la toile noire de ses pupilles, des notes avaient éclos. Ses yeux refermés les avaient regarder s’éteindre lentement comme se dissipe sur la peau le flamboiement du fer chauffé à blanc. Lorsque les rideaux avaient été tirés, doucement, son visage s’était un peu crispé afin de laisser à ses yeux le temps de s’accoutumer à la lumière. Il aimait cette heure du matin où seule la nature s’activait. Au premier coup d’œil, par un jour sans vent l’immobilité semblait totale et le monde muet. La fraîcheur du matin se glissait alors par la fenêtre ouverte avant de s’insinuer sous ses vêtements telle une main qui éveille le désir. D’une profonde inspiration il se donnait à elle, avec passion, et la laissait pénétrer chaque parcelle de son corps. Tous les jours elle lui redonnait vie, goutte d’eau qui ranime une fleur évanouie.
Accoudé ensuite au rebord de la fenêtre, écoutant la nature, cette dernière avait le temps de s’habituer à sa présence. Ils étaient de ces amants qui, après avoir étanché leur désir s’allongent l’un à côté de l’autre sans mot dire, écoutant juste leur respiration se répondre. Dans le souffle humide du matin résonnaient les souvenirs de la rosée et rien qu’à voir l’horizon rougir sous son regard il savait que le Soleil venait de s’éveiller il y a peu de temps. Toutefois il fallait que le vent soulève soudain la jupe des arbres, fragile dentelle d’automne, pour qu’une flamme s’allume au fond de ses yeux. Dans le simple bruissement des feuilles, murmure de la nature ou soupir contenu, sa violence maîtrisée et sa soif de vie étaient perceptibles tandis que, dans le noir de ses pupilles le vent tournoyait, passait d’un arbre à un autre en gouttant le plaisir de la vitesse et d’un coup l’effleurait, chant de liberté. Sa résistance à terre, la porte de chez lui claquait alors et ses pieds nus dévalaient la cage d’escaliers.
Les marches froides qui s’enroulent sur elles mêmes.
Un piano.
Sa respiration qui s’accélère, résonne entre les murs.
Le violon s’éveille.
Derrière la porte de l’immeuble, le chant d’un oiseau.
Une flûte lui répond.
Ses pieds nus sur l’herbe humide de rosée.
Et dans sa tête un air de Mozart.
Il se déplaçait toujours avec grâce, sans bruit superflu, comme si quelqu’un l’observait.
L’écoutait.

Tableau de Thaddäus Helbling

Son regard était étrange, perçant comme les griffes du tigre et pourtant aussi doux que son pelage. Parfois sa vue se brouillait pour se perdre dans le néant et il semblait que plus rien ne pouvait le ramener parmi les Hommes. En réalité il ne vivait pas tout à fait dans leur monde, percevant différemment les choses qui nous entoure. C’est pourquoi, si on se laissait happer par son regard on pouvait y voir, au milieu des mondes déjà éclos, la lumière d’un bourgeon d’univers. Quelque fois si on l’apercevait au cœur de la foule on avait l’impression qu’il n’y était pas à sa place et que son esprit était ailleurs, en équilibre entre deux mondes. Alors, comme le pont joint deux terres qu’une rivière a séparées, il s’était construit une passerelle entre les univers puis se l’était appropriée, invisible aux yeux de tous, immuable. L’essence de la vie.
C’était la respiration du nouveau né et la course du loup ; le chant du vent et le balbutiement du ruisseau ; c’était l’éclair dans la nuit et la pluie tambourinant sur les vitres.
Son nom était Musique.
Dans le salon trônait un piano, adossé contre un mur dans un angle, comme un enfant qui, dans une réunion d’adulte, tenterait de se faire oublier. La pièce avait beau être lourdement décorée, chargée d’objets de décoration et de peintures, il attirait directement l’attention. Pour certains c’était parce qu’il  détonnait dans l’ensemble, d’autres mettaient en cause la noirceur de son revêtement, trop dure pour le regard. Néanmoins on sentait bien au fond que là n’était pas la raison. Peu de personnes osaient l’approcher et encore moins le toucher, non pas que cet instrument éveilla la peur ou le dégoût mais plutôt un respect mêlé de gêne. Il dégageait une aura invisible qui venait chercher notre âme pour lui murmurer à l’oreille des paroles de vérité. Cependant sans l’aide d’un interprète nul ne les comprenait et ne subsistait dans les cœurs que le sentiment étrange que quelque chose d’important se jouait autre part. Un seul être pouvait détourner l’attention du piano. Dès son entrée dans la pièce c’était comme si un lien s’établissait entre lui et l’instrument. Ce lien, bien qu’invisible, était perceptible de tous et au fond d’eux ­ car jamais ils n’auraient osé le dire aussi clairement, certains n’en ayant pas vraiment conscience ­ une voix murmurait que le nouveau venu n’avait pour le piano aucune gêne mais qu’il y avait entre eux une relation d’égalité et, presque, de mutuelle affection. Toutefois, pour que les gens sentent que leur questions allaient enfin trouver des réponses,  il devait s’asseoir en face de lui, ses doigts effleurant sa surface lisse et noire. S’ils avaient du respect pour le piano, leurs sentiments envers l’interprète étaient plus mitigés : mélange de peur et d’envie inavouée.
Il y a des vérités que l’Homme ne voudrait jamais entendre mais qu’il guette comme la bouche entrouverte attend la goutte d’eau dont le contact aura la douceur du baiser mais qui ne fera qu’attiser la soif et l’envie, insatiable désir.
La vérité n’embrasse pas. Elle mord.

Wikicommons

Son amour envers la musique était de celui que l’on porte aux femmes : elle faisait parti de lui mais jamais ne lui appartiendrait. Ce n’était pas sa volonté. Sa sauvage liberté, malgré sa façon de se donner laissait toujours intact son mystère et nourrissait sa passion. Une image dans un miroir ne satisfait que la curiosité des yeux. Parfois on aurait presque pu la voir danser dans son regard tant ils étaient proches. Puis un jour elle disparaissait, entraînant dans son sillage quelques gouttes de pluie au goût salées. Ou peut ­être était-­ce par ses larmes qu’elle le quittait.
Face au piano, ne s’asseyant jamais au milieu du siège mais toujours à une de ses extrémités, l’inspiration avait alors la place de s’asseoir à ses côtés. Il composait seul, dans l’intimité, tel la rose pousse en silence sous le couvert de la végétation avant d’oser se présenter à la vue du Soleil. On aurait dit un de ces peintres qui testent sur l’aube leurs couleurs ­protégés du sommeil de la nature avant de trouver le bleu de l’azur. Parfois c’était comme si les notes venaient d’elles mêmes. Fermant les yeux, ses doigts trouvaient seuls le chemin des touches. Cela partait souvent d’une caresse, d’un effleurement ; éveil d’un piano et du désir d’une femme. Il écoutait chaque note et ajustait ses accords comme on écoute la respiration de l’autre pour percer l’indicible avant de faire glisser ses mains le long de ses hanches.
A chaque accord correspondait une émotion que les notes s’amusaient ensuite à moduler, virgule entre deux mots qui les sépare et les éclaire. Peu de personnes le virent un jour composer mais toutes, si elles firent bien attention, s’entendirent sur une chose : il ne composait pas la musique, il la vivait. Imperceptiblement son corps entier se déplaçait au rythme des notes comme le sable se meut au rythme des marrées.
Comme on se mort les lèvres pour étouffer les soupirs.
Puis un jour ce fut la tempête. C’était un de ces matins que l’on n’oublie jamais. Le monde à travers la fenêtre était flou, déformé par la pluie ruisselant à sa surface et la nature semblait ne jamais vouloir s’éveiller. Il pleuvait tant qu’on ne l’entendait même plus respirer. Alors comme pour combler le silence, il s’était assis en face du piano et avait fermé les yeux afin de laisser le monde alentour le pénétrer. Cependant pas un son n’avait émergé de la pénombre. Était-­ce son cœur qui soudain s’était accéléré ou la pluie qui avait redoublé ? Tout se trouble dans ma mémoire. Je revois les émotions le submerger et les notes déferler dans son esprit. D’où venaient-­elles ?
C’était la tempête. Le vent soulevait les feuilles d’automne et venait s’écraser contre les arbres. La terre mugissait et les branches ployaient. Les notes avaient cessées de le guider. Devait-­il conter la colère du vent ou la peur de l’arbre ? Les ténèbres des nuages ou la danse des lanternes ? Son corps tremblait et était pris d’un mouvement de bascule tandis que ses mains avaient trouvé refuge entre ses cuisses. Soudain la diversité des notes auquel se mêlait une infinité d’accords le frappa comme autant de gouttes de pluie. Et ce fut le vide. Un trou béant aspirant les certitudes et la confiance : Ses yeux couraient de la droite vers la gauche et de la gauche vers la droite, sautaient d’un nuage pour tomber dans la nuit puis glissait vers ses mains immobiles.
Mozart s’était tu et pleurait.
S’étant doucement levé, petite note que l’on aurait griffonné, il était sorti dans la tempête et avait attendu, assourdi par le bruit du vent, que le calme ne revienne. Tout semblait si lourd, gorgé de l’eau de pluie. Si lourd dans sa poitrine.
C’est alors qu’il la vit, coincée entre deux dalles de béton au milieu de la chaussée. Un coquelicot. Une de ses pétales était tombée au sol et son corps, si voûté, semblait tenter de la ramasser.
Jamais ils n’auraient dû être là. Ses cheveux collés contre son visage gouttaient sur ses épaules et ses mains étaient glacées. La fleur, sous son regard était belle, seule au milieu de ce monde gris. L’interprète s’accroupit à ses côtés. Combien d’épreuves aurait­elle encore à subir ? Combien de tempêtes et de pieds qui la fouleront ? Il aurait voulu lui parler mais quelque chose l’en empêchait : une mélodie, aussi faible que les souvenirs d’un rêve. En se levant le vide au fond de son cœur disparu, comblé par une petite fleur et la certitude des notes à venir : Celles de la différence.
Il allait composer pour un coquelicot, pour toutes les pétales tombées au sol et les espoirs envolés ; pour un bourgeon éclos dans le berceau de l’erreur et des millions de cœurs égarés.
Pour qu’un jour, à la vue d’une fleur quelqu’un sache qu’il n’est pas seul.
Alors Mozart reviendrait.

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19th mars 2011

L’ange et la princesse (4/4)

Salut !

Je vous présente aujourd’hui le dernier volet de ce conte.

La semaine prochaine je déménage deux rues plus haut alors vu que je ne sais pas trop quand je récupèrerai une connexion internet, il est probable que les dates de post soient un peu décalées. En tout cas n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez de la fin du conte, je pourrais toujours lire vos commentaires assez facilement du lycée !

Bye et bonne lecture.

L’ange et la princesse (1/4)
L’ange et la princesse (2/4)
L’ange et la princesse (3/4)

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L’ange et la princesse (4/4)

Ceux qui haïssent quelqu’un c’est simplement qu’ils ne savent pas comment l’aimer. On peut aimer sensuellement, on peut aimer spirituellement…et un jour on aime passionnément. La première fois que je l’ai aperçue mes yeux ont caressé son corps, frisson de l’âme effleurant l’esprit. C’est à notre insu que naît la passion…alors ne m’en veux pas si je t’aime…

L’ange marchait, le Soleil entre ses mains. Il traversa la pièce et je le suivis. Est-ce cela aimer quelqu’un, être capable de lui faire confiance, de fermer les yeux et d’avancer dans le noir sur ses pas, de descendre jusque dans les tréfonds de notre âme ?
Malgré la bougie la pièce semblait obscure et comme sur ses gardes, animée par la volonté de protéger un secret dont chaque foulée me rapprochait.
Je n’avais pas oublié cette mystérieuse pièce interdite, cette forme inconnue…la vérité me hantait.
Tout à coup la porte pivota et je fus happé par ton regard. Tu ne dis rien, pas un mot. Nul mouvement, nul battement de cil ne t’anima. Tu me souriais de ton sourire figé, statique, paralysé…un sourire d’automate.

C’était elle. Elle que j’aimais depuis le premier jour, elle qui m’écoutait chaque soir, elle qui mettait un peu de douceur et de magie dans ma vie…
Toutefois lorsque je m’approchai le doute se dessina sur mon visage. Ses bras étaient trop longs, trop rigides, son buste n’était qu’un large rectangle, sa jupe n’avait aucun pli et malgré son sourire son visage n’avait rien d’humain, une sphère. Étonné et dans l’incompréhension la plus complète je me tournai vers l’ange. Dans ses mains il tenait un ciseau à bois.
«Offre-moi un peu de ton âme, Prince, je me sens vide.» J’étais un cancre, la risée de mon école, la honte de mes parents. Pourtant cette nuit je fus Prince et une gouge à la main je bâtis mon empire.

Je travaillais toute la nuit et le jour d’après sans me soucier ni de la fatigue ni de la faim. Pour la première fois de ma vie je me sentis utile. Minutieusement je frappais le bois et y appliquais de légères pressions à tel ou tel endroit. Je caressais ma princesse pour y imprimer les formes de mon affection, les traces de ma dévotion ; je l’habillais d’une splendide jupe plissée ; je tressais ses cheveux, lui dessinais de courtes nattes bouclées ; je bombais ses pommettes d’un tendre effleurement ; je taillais dans le bois mon amour.
Durant tout ce temps l’ange resta à mes côtés et ce n’est que lorsque j’eus terminé qu’il me dit ce mot, ce simple mot venant du cœur : «Merci».
Et s’il n’y avait pas eu ce toit au dessus de la boutique de jouet je crois que je me serais envolé.

L’espoir se dressait devant moi, façonné par mes propres mains. Enfin je pouvais contempler le résultat de mon travail. Quelle étrange émotion que celle qui s’emparait de mon être ce soir là. Je me redressai, levai la tête, bombai le torse et regardai droit devant. J’étais fier, non pas de qui j’étais car leurs sarcasmes étaient trop profondément ancrés en moi pour les oublier, mais de qui elle était, elle que j’avais créé, que j’avais fait naître du néant. J’étais fier de ma princesse et j’eus souhaité lui offrir le plus bel avenir qui existait. Mais comment donner un avenir à la personne que l’on aime lorsque soit même on n’en possède aucun ?
Quand je demandai conseil à l’ange et requérai son aide il me sourit et m’invita à s’asseoir près de lui. Ce soir j’aimais en paix…et il le ressentait.

Les légendes sont toujours fragmentaires, partielles. Elles modifient la vérité et en dissimulent une partie. Personne ne soupçonnait que les propriétaires de la boutique de jouet euent pu avoir un enfant. Personne ne savait que les femmes pouvaient accoucher d’anges. Alors comment aurais-je pu me douter que mon ange n’était pas tomber du ciel ?

«Toutes les princesses se fanent un jour…même la nôtre. Chaque soir je le vois elle peine un peu plus à me confectionner un morceau d’avenir. Je n’aime pas la voir se démener ainsi, se fatiguer. Alors je m’étais mis en tête de fabriquer un nouvel automate avec en son cœur tout autant de magie.
J’ai compris récemment qu’à chaque être auquel on tient on lui offre un morceau de son avenir pour qu’il puisse s’il le souhaite, bouleverser notre vie. Moi, j’ai fait don il y a longtemps de mon avenir à la Princesse. Désormais je suis vide, vide de tout avenir car je vis au travers de la princesse. Mais toi tu as de l’avenir, un bel avenir. Tu as peut être détruit un avenir hier soir toutefois je sais que tu es capable de créer des centaines, des milliers d’avenirs !
Insuffle l’avenir à cet automate que tu as fait naître. Y a t-il plus bel avenir que celui d’en offrir un aux autres ? Je sais que tu y parviendras. J’ai confiance.»
Et il avait un étrange sourire que je ne lui avais encore jamais vu, de celui qui dit : «Nous partageons le même secret», de ces sourires mystérieux auxquels on reconnait nos amis.

Tout à coup l’ange me prit la main. «Suis moi Prince ! » On a couru, on a couru tellement vite au travers de la boutique de jouet que parfois mes pieds ne touchaient plus le sol. Autour les bulles multicolores virevoltaient et me faisaient perdre tout sens de l’orientation. Si l’ange ne m’avait pas retenu probablement que je serais tombé au sol.
«Attends…
Non ! »
C’est étrange de recevoir un ordre d’un chérubin. C’est comme tomber du ciel…Soudain il s’arrêta. Nous étions en face de toi, mon automate.

Je t’avais donné la vie, je t’avais confié tous mes espoirs, j’avais déposé en ton cœur une part de moi même et il était temps désormais que je partage avec toi mon avenir.
«Tu as commis une erreur, déclama l’ange ; répare-la.» Un moment je restai immobile à me demander comment je pourrais m’y prendre.
«Mais personne ne m’a jamais dit comment créer l’avenir, expliquai-je.»
L’enfant m’indiqua l’automate d’un signe de la tête. «Elle, elle le sait. Sans le savoir tu lui as appris.»
Toute notre vie on ne fait que reproduire les gestes, les mouvements, les paroles de nos aïeuls, de ceux qui nous entourent, nos amis, notre famille…mais au moins on y met notre cœur.
Je jetai un regard à mon ange. Dans ses mains il y avait une boîte à chaussures. Ne serait-ce qu’une fois dans notre vie on agit aux yeux des autres de façon irraisonnée. Alors ne me demandez pas pourquoi ce soir-là je saisis la boîte à chaussures.

«Princesse, offre moi un peu de ton âme, je me sens vide.»
Ce n’est d’abord que frémissement de la peau, battement de sourcils. On voit un mouvement infime et on pense l’avoir juste rêver. Puis les commissures des lèvres se redressent lentement, les yeux s’illuminent et c’est tout un corps qui s’anime. Combien de fois avais-je assisté à ce rituel ? Dix, vingt, trente fois ? Ce soir ce fut comme si rien ne c’était jamais passé, comme si j’étais revenu à cette nuit où j’avais rencontré la princesse pour la première fois. Cependant cette fois-ci je n’observais pas ; je vivais.
Tandis que l’automate s’appliquait telle une araignée à tisser la toile d’un avenir j’élevai au dessus de moi la boite à chaussure. Ce n’est que lorsque la bulle de savon se fut envolée, quittant le doux nid des mains de la princesse, que je compris la raison d’être de tout ceci.
Ce fut comme une illumination, un éclair dans la nuit de l’ignorance. J’avais mon rôle à jouer dans ce monde. Certains ne me croiront pas, d’autres me prendront pour un fou mais qu’importe car désormais je savais pourquoi j’étais là-bas, cette nuit.
Je lâchai la boite à chaussures. Doucement, inévitablement, la bulle descendit vers le sol. L’ange avait ouvert de grands yeux effrayés : «Que fais-tu ?»
Et l’univers continuait de tomber, chute inéluctable tandis que la crainte de l’enfant grandissait. Les anges aussi peuvent douter.
Quand le monde fut enfin à ma portée je pris une grande inspiration, me tournai vers le chérubin et soufflai. La bulle de savon fut propulsée à travers la pièce, comète multicolore.
Pour la première fois j’eus en face de moi non plus un ange mais un être humain. Son visage n’était plus celui confiant et souriant qui s’était opposé à ma haine une nuit. Il y avait sur ses traits de la peur, de l’incompréhension, de l’étonnement, un refus dissimulant une terrible envie, l’envie de dire «oui». Puis il y eut un sourire, de la reconnaissance et, si je ne m’abuse, une étincelle d’amour.
Les anges sont humains.

L’avenir percuta l’enfant et la bulle éclata. L’avenir percuta l’enfant mais chaque gouttelette s’accrocha à lui. C’était comme une pluie de lumière…des larmes d’anges.
Et je frappais dans mes mains au rythme de la fugue. Je tournais autour du chérubin : «Tu as un avenir ! »
Soudain l’ange se mit à rigoler. C’était si doux, si mélodieux. J’aurais voulu qu’il rie toute ma vie.

Si les anges sont fait pour veiller sur les Hommes, qui donc prendra soin d’eux ?

Les mois avaient passé, les années s’étaient écoulées. On avait grandi. Depuis quelques semaines tous les soirs un léger voile de neige recouvrait la ruelle de mon enfance tandis que les chérubins l’emplissaient de leur rire. L’ange et moi nous avions repris la boutique de jouet, on l’avait retapé, dépoussiéré avant de la peindre de magie. Et dehors, encastrés dans la roche, il n’y avait plus un automate mais deux. Deux princesses qui faisaient la joie des enfants.
Une légende raconte que de notre vie nous n’avons plus jamais quitté le magasin.
«Entre ces murs nous faisons bien plus que vendre de simples jouets, disait mon ami ; on fabrique.
Que fabriquez-vous ?» Demandaient les curieux.
Alors toujours à ses côtés je répondais avec un clin d’œil : «Les anges ne sont que des enfants à protéger. Nous en sommes leur chevalier.»
Devant la boutique une foule s’était amassée. Ils levaient des yeux ébahis tandis qu’un murmure se répandait. «Regardez ! »
Les princesses avaient joint leurs mains d’un commun accord. Dans chaque adulte il y a une part d’enfant, une part d’ange. Au dessus de nos têtes des milliers de bulles de savon virevoltaient, des milliers d’avenir resplendissaient.
«Soufflez les enfants, soufflez ! Ne laissez pas les mondes éclater…»
Alors dans la ruelle naquit un souffle d’espoir tandis que se levait un vent d’avenir. Les anges riaient et vous riiez avec eux, Princesses.

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2nd mars 2011

L’ange et la princesse (3/4)

Salut,

Voici la troisième partie du conte. Je crois que je ne m’étais jamais autant exprimée dans un récit, j’y ai mis une telle part de moi même ! Parfois j’aimerai qu’il ne soit pas fini mais que je puisse encore l’écrire. En écrivant ce conte j’avais l’impression d’être un dieu, je pouvais choisir de la vie et de la mort de chaque être, décider de leur avenir. C’est grisant de volupté.

Sinon le bac blanc approche (le bac aussi donc !)  et dans une semaine les inscriptions pour l’orientation seront finies. Je réalise à peine que l’année prochaine ma vie va être bouleversée ; toutefois je continuerai de poster sur Souffle Mots, où que j’aille !

J’espère que ce conte vous plaira et n’hésitez pas à critiquer !

Bye et bonne lecture.

L’ange et la princesse (1/4)
L’ange et la princesse (2/4)
L’ange et la princesse (4/4)

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L’ange et la princesse (3/4)


Ce qui se passa ensuite je n’en ai gardé que peu de souvenirs, des bribes surtout de conversation, des images. Je me souviens être retourné dans la boutique de jouets, je me souviens avoir vu l’ange déposer un nouveau monde sur une étagère au milieu de tant d’autres, je me souviens de ses mots : «On a tous peur de la vérité, on la fuit. On a tous peur de notre avenir, on voudrait pouvoir le contrôler. Alors je les cache aux yeux de tous et les protège. Chaque bulle renferme une vérité, chaque monde contient un avenir. Je ne suis qu’un gardien.»
J’étais assis au sol, buvant ses paroles, mon regard fixé sur lui tandis qu’il semblait plongé dans l’océan, un océan dont je ne percevais que l’écume.
«Tu as peur d’aimer, tu as peur d’aimer et de ne plus rien contrôler. Mais rassure-toi, si l’on juge des actes de quelqu’un, bien souvent avec maladresse, nul ne peut juger des sentiments. Ne craint pas de dire à quelqu’un que tu l’aimes, ne fuis pas cette vérité sinon un jour…»
Je me souviens avoir dansé au milieu des mondes. L’ange battait la mesure de ses petites mains et je tournoyais telle une tornade. Je me souviens d’avoir joué cette musique, frappant en cadence le parquet de mes pieds nus. Et soudain il s’était levé, il m’avait tendu ses mains et l’on avait dansé ensemble. Alors, réunis, nos corps ne formaient plus qu’une gigantesque sphère : l’instant d’une valse on partageait notre avenir.
Aujourd’hui encore lorsque je marche résonne notre fugue.

Essoufflé je m’étais assis, l’ange en face de moi. Il me semblait que nous avions dansé toute la nuit mais dehors l’obscurité n’était que plus dense et nulle lumière ne pointait à l’horizon.
Je pris une grande inspiration. Il faut oser parfois demander la vérité : «Où sommes-nous ? Vraiment…»
L’ange ne me regardait pas, égarement de l’esprit.
«Quelque part dans les sous-sols de la boutique.» Sa réponse était tellement lointaine, tellement évasive qu’il semblait ne plus appartenir à ce monde.
«Mais pourquoi alors avons-nous fait tant de détours ?
- La magie réside dans le mystère, dans l’inaccessible. Quelque chose d’inatteignable, si l’on s’en rend compte, devient beau.»
La première fois que j’y étais entré ce lieu n’était à mes yeux qu’une ruine sans intérêt. Désormais c’était un paradis. Je souris. Je connaissais la vérité.

Ceux qui ne croient pas en la magie c’est simplement qu’ils ne savent pas la reconnaître.
Quand je cours les cheveux dans le vent, quand les arbres me saluent, quand chaque jour je continue d’espérer, quand tu me souris…c’est magique.

Vers le point du jour j’ai quitté la boutique de jouet. Je n’aurais pas dû. J’ai quitté mon paradis pour descendre en enfer.
«Tu n’as pas d’avenir…pas d’avenir…pas d’avenir.» Je crispais le visage, je serrais les dents. C’était la récréation et j’attendais. J’attendais que passe le temps et qu’enfin je puisse revoir ma princesse. J’ai tenté de leur expliquer, de la leur décrire ; ils n’ont pas compris. On ne comprend pas la passion d’un être, on l’envisage, on l’admet, on l’observe. Ils s’en sont moqués.
«Chez nous on n’veut pas de personnes bizarres…bizarres…bizarres.»
Je tentais de me coller contre le mur, de disparaître aux yeux des autres. Je fuyais la vérité.

Cet après-midi quand je suis sorti des cours j’ai couru, j’ai couru à perdre haleine mais cette fois-ci je savais où j’allais.
Je ne pouvais plus le supporter, c’était trop lourd, trop dur. Ils n’avaient pas le droit de me blesser ainsi, ils n’avaient pas le droit de m’ôter tout espoir, d’éteindre la magie qui vivait en moi…
Ce soir là je ne saluai pas ma princesse. Arrivé près de la porte de la boutique de jouet j’arrachai un bout de bois, le même qui m’avait gravé dans le dos cette cicatrice. Je ne me souviens plus comment je l’ai décroché. Je me rappelle juste de cette haine qui me dominait, m’asservissait. Je ne l’avais pas senti naître en mon sein, petit bourgeon insignifiant. Mais ils l’avaient arrosé, l’avaient réchauffé. Ils avaient noyés la raison pour mieux incendier mon cœur. Je n’avais pas d’avenir alors que m’importait désormais que mes actes soient bons ou mauvais ?
Je n’avais pas d’avenir alors j’allais détruire le leur. J’allais détruire leur avenir…à tous.

Avais-je défoncé la porte, l’avais-je simplement poussée ou était-elle déjà ouverte ? Je ne saurai le dire. Tout à coup je m’étais retrouvé debout dans cette même pièce que j’avais quittée quelques heures plus tôt. Toutefois je n’étais plus le même.
Quand j’y repense parfois j’ai peur, peur que tout ne recommence. Était-ce juste de la haine ou autre chose…un peu d’amour ? J’aimai cet enfant, j’aimai l’automate mais je ne savais comment l’exprimer. Je n’osais dire la vérité. Et pour cette simple raison, pour elle, pour leur ricanement, leur mépris j’étais prêt à menacer un ange…mon ange.

Il pointa l’épée vers l’enfant. Silence. Sur la lame du sang séché. Lentement il brandit l’arme au dessus de sa tête. L’enfant souriait, confiant.
C’était comme si le temps avait stoppé sa course, plus rien ne bougeait et même les univers s’étaient figés. Quand la folie s’empare de nous plus rien n’a de sens. En face de l’ange un être humain tremblait. Il tremblait de peur, il tremblait d’amour.
Mais sa volonté semblait inébranlable. Ou est-ce qu’il ne savait plus comment faire marche arrière ?
L’épée fendit l’air, blessant à mort le silence.
L’épée fendit l’air et l’ange resta immobile.

Je l’avais souhaité, je l’avais désiré, je l’avais si ardemment convoité que c’était devenu réalité. Je ne savais pas que la réalité pouvait blesser. Je pleurais. Le morceau de bois avait glissé de mes mains tandis que je m’écroulais au sol. Qu’avais-je fait ? Étais-je désormais un meurtrier ? Et il y avait cette image qui revenait sans cesse comme une vérité placardée sur mes yeux, elle s’insinuait en moi. J’avais beau cacher mon visage entre mes mains ses griffes restaient profondément ancrées.
L’enfant, son sourire. L’épée, son cri…l’univers, cette bulle de savon.
Je m’étais cru le maître du monde, j’avais voulu jouer au Dieu alors que je n’étais qu’un cancre sans avenir, je m’étais octroyé le droit de décider du devenir des autres.
J’avais tué l’avenir de quelqu’un. Je l’avais vu éclater en milliers de fragments tandis que mon épée le transperçait de part en part. Était-ce cela mon avenir : détruire celui des autres ?
Je pleurais.
Tout à coup je sentis quelqu’un taper doucement sur mon épaule. Je levais les yeux. L’ange me tendait un parapluie. Mon parapluie.
«Prends le ; ça te seras utile, murmura-t-il ; il ne faudrait pas que d’autres mondes éclatent…»
Je souris puis agrippais la poignée recourbée du parapluie. «Merci de ton aide, petit chevalier.»

Et l’ange pardonna. Il ramassa les débris d’avenir puis s’assit à mes côtés. Je m’étais un peu calmé et dans la pièce la pluie avait cessé. Toutefois j’avais toujours ce poids sur la conscience comme un meurtre. J’ignorais à qui appartenait cet avenir mais quelque part sur Terre, par ma faute, un être se sentait vide et sans but. Soudain je me tournai vers mon ange :
«Apprends-moi à aimer ; à aimer en paix.»
Et l’ange accepta.

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28th février 2011

L’ange et la princesse (2/4)

Salut,

Voici la deuxième partie de mon conte. J’espère qu’elle vous plaira (et que vous vous êtes languis de connaître la suite !)

Mon prof de philo disait que pour un commentaire de texte il faut toujours écrire en ayant en tête ce qui précède mais aussi ce qui suit. Je crois que ce conseil est aussi à appliquer dans la littérature. Les références à ce qui précède sont des clins d’œil au lecteur, un moyen de raccrocher à un monde tandis que les références à ce qui suit ne sont que suspens.

Bye et bonne lecture.

L’ange et la princesse (1/4)
L’ange et la princesse (3/4)
L’ange et la princesse (4/4)

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L’ange et la princesse (2/4)

Quand la porte grinça je sursautai. On s’habitue vite au silence. J’avais suivi l’ange dans le dédale des rues. Nous avions tourné, bifurqué, dévié presque à chaque croisement.
«Où sommes-nous ?» avais-je demandé, perdu.
Il n’avait pas répondu. Son doigt s’était porté à ses lèvres, frontière infranchissable. Le panneau de bois avait pivoté. Tandis que je pénétrais à l’intérieur, guidé par l’ange, mes yeux habitués à la clarté de la Lune tentaient de s’accoutumer à l’obscurité.
Petit à petit, tel un tableau qui se dessine sous notre regard, je pris conscience de ce qui m’entourait. C’était comme devenir peintre.
La pièce semblait vaste et vide, sur les murs se dressaient jusqu’au plafond d’immenses étagères également vides. En réalité tout était vide et même les pièces adjacentes étaient exemptes de tout mobilier.
Soudain dans un recoin, à travers l’arcade d’une porte, je discernai une forme étrange et géométrique. Vision fragmentaire. L’ange avait condamné l’accès. Je voulus protester mais aucun son ne sortit, les lèvres cousues par la surprise. Je fis un pas en avant. Tout à coup je me figeai. Un soleil brillait entre les mains de l’ange. Une chandelle rayonnait dans les mains de l’enfant. J’étais au paradis.

Ceux qui ne croient pas au paradis c’est simplement qu’ils ne l’ont jamais vu. Il n’y a pas de blancs nuages ou des grilles d’or là-haut. Il ne se situe même pas au dessus de nos têtes. J’ignorais que le paradis logeait dans ma ville et qu’on le dissimulait dans une ruine à l’abandon. Les étagères n’étaient pas vides. La pièce était pleine, remplie de l’invisible. Alignées sur des planches de bois se tenaient en équilibre des centaines de mondes, des centaines de bulles de savon et au cœur de cet espace flottait une multitude d’univers. C’était comme être en apesanteur. Rien ne me faisait peur. L’atmosphère n’était pas oppressante mais à la fois intime et infinie, apaisante. Toutes les portes étaient closes. Il n’y avait que l’ange portant le Soleil à bout de bras, ces sphères aux reflets changeant et moi. Cette nuit là mon ange s’éleva au rang de Dieu.

Sur le parquet l’enfant avait déposé le Soleil puis il s’était assis à sa droite. Son invitation muette m’avait suffi pour que j’aille m’accroupir de l’autre côté.
Pendant longtemps nul n’osa entamer la conversation comme si un simple souffle eut pu faire éclater les mondes et provoquer une tempête. A cet instant je crois que je ne ressentais qu’une vaste paix intérieure. Tout se déplaçait au ralenti, nulle précipitation, juste mon cœur subissant d’étranges trépidations, palpitant au rythme de notre univers. Je n’ai pas honte de le dire : à ce moment j’avais la sensation que le monde m’appartenait et que j’en étais le maître incontesté. Probablement que la folie était en train de me gagner mais même cela je l’ignorais. En fait je n’avais d’emprise sur rien, ni sur mes actions ni sur mes émotions. J’étais amoureux d’une princesse qui ne daignait m’adresser un regard et dont j’ignorais le nom, je m’attachais à un ange et sa boite de chaussures mais surtout j’étais incapable de contenir ma curiosité, je parlais à cœur ouvert.
«Si tu es un ange, aide-moi.»
Regard étonné. Sourire innocent.
«C’est quoi un ange ? »
Aujourd’hui encore il attend sa réponse.

On a tous dans nos vies quelqu’un dont le sourire fait s’envoler nos cœurs. On a tous dans nos vies quelqu’un qui nous a un jour aidé et nous a sorti de l’ombre. On a tous dans nos vies quelqu’un qui nous aime, parfois on ne le sait pas, parfois cela ne se dit pas.
Ces personnes sont des anges, inconnus, ignorés, mais de ceux qui ne laissent pas indifférents, qui gravent en nous de profondes cicatrices.
Tu es un ange, il est un ange, elle un ange.
Mais ne dîtes rien…c’est un secret. On nous prendrait pour des fous.

De nouveau le silence était retombé mais cette fois-ci il était pesant, oppressant, écrasant tandis que s’éveillait en moi une étrange révélation : les anges parlent.
Alors, obnubilé par la caresse de sa voix je posais une nouvelle question : «Qui es-tu ?»
Une minute. Deux minutes. Dix minutes. Découragement. Déception. Abandon. Je me levai et fis demi-tour vers la porte. «Au revoir». Et alors que je m’apprêtais à franchir le seuil un murmure s’éleva, cri dans le silence : «Je suis le chevalier de la vérité».
Brusquement je m’arrêtai. Cette porte, ce morceau de bois à la teinte rougeâtre ; je les reconnaissais.
Mon cœur s’était accéléré. Je me sentais piégé.
«Mais…qu’as-tu fait ? Où sommes-nous ?»
Cet univers que je venais de rencontrer, ce paradis, rejoignait soudain la réalité ? J’avais l’impression d’avoir été trahi.
Je sortis en courant et regardai vivement autour de moi. C’était notre rue, celle de notre rencontre. La princesse était là, immobile, elle me fixait.
«Ce n’est pas normal. Ce n’est pas rationnel…» Je tournais sur moi même de plus en plus vite.
«Je ne peux pas avoir couru après toi et me retrouver ici ! » Soudain j’avais peur, une peur incontrôlable. Je voulus retourner dans la fabrique de jouet où j’avais quitté l’enfant mais la porte s’était refermée.
«Ouvre-moi ! » Je frappai le bois.
«Tu n’as pas le droit de me laisser seul !»
Je glissai au sol. «Je suis fou, complètement fou». Quelques larmes au coin de mes yeux.
«Je ne lui veux pas de mal moi à ta princesse petit chevalier…laisse moi juste l’aimer.»
Généralement il me suffisait de regarder son sourire tendre et sensuel pour qu’elle efface tous mes tourments. Pourtant cette nuit rien n’y fit. Elle avait beau m’offrir son regard le plus lumineux je me sentais seul. Mon ange était parti, le paradis avec lui.

J’étais probablement le seul à le connaître, à partager ce secret et pour cette unique raison je pensais qu’il m’appartenait, que j’avais un ange, mon ange.
Pourtant rien ne me donnait le droit de m’approprier un chérubin, rien à part ce désir étrange de compter aux yeux de quelqu’un. Et il y avait cette princesse dont j’étais amoureux et je ne savais même pas pourquoi ; cette princesse qui assiégeait mon esprit jour et nuit et qui assaillait mon cœur de tant de questions naissant toutes de celle-ci : «Ai-je le droit de l’aimer ?»
En réalité ce n’était pas un corps que je convoitais mais une âme ; ce n’était pas une femme qui m’attirait mais la magie qui dort. J’aimais l’impossible d’un rêve, la fantaisie de l’éternel car ce n’était que dans l’irréel que mon avenir devenait réel.
Il est douloureux d’aimer plusieurs êtres à la fois car l’affection d’un seul ne nous suffit pas. C’est le sourire de tous que l’on veut posséder.

Mais nos pas nous ramènent toujours là où notre cœur le désire. Parfois il faut attendre des dizaines d’années, bien souvent ce n’est qu’inconsciemment que l’on y retourne. Toutefois en ce qui me concerne mon cœur ne patienta qu’une nuit, une nuit sans fin, seul dans ma chambre à rêver de la princesse, à songer à mon ange. Une nuit blanche.
Que faisaient-ils ? Avait-il bien récupérer le monde ? Ne se sentait-elle point seule ? Et s’imposant à toutes les autres cette unique question : Qu’est ce que cette forme dans l’autre pièce ?
Je ne retins ma curiosité qu’une nuit.
Le lendemain soir je me retrouvai devant l’automate. Il ne faisait pas encore sombre et je patientai. On pourrait attendre l’éternité un être que l’on aime. J’ignorais complètement ce que j’allais lui dire mais peu m’importait : je devais lui parler, j’avais trop de questions.
Il arriva comme d’habitude, ponctuel, précédé seulement par sa fugue. J’avais l’impression de le retrouver après des années de séparation. On ne survit pas longtemps sans son ange. Tout à coup, mu par une force inconnue, je m’agenouillai.
«Je suis à vos ordres, chevalier de la vérité.» Debout il était à peine plus grand que moi.
C’est petit un ange. C’est fragile.

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