Lettre
Salut !
Me voici donc à Paris depuis un peu plus d’une semaine, les heures de cours s’alignent, les devoirs et contrôles commencent à pointer le bout de leur nez tandis que l’échéance des « colles » approchent. Pendant toute la semaine je n’ai pas envie d’écrire, cela m’a étonné et un peu tracassé : si je dois m’arrêter d’écrire en prépa où va-t-on ! Mais ce matin de nouveau quelqu’un m’a chuchoté que je devais écrire. Je n’ai pas encore trouvé le temps mais nul doute que cela viendra. Je crois alors que le thème de ce post convient magnifiquement pour aujourd’hui.
Un soir en me couchant en juin, gardant les yeux ouvert quelques temps, j’ai eu l’illumination que je pourrai écrire une lettre à…ma muse ! Je me suis alors relevé pour l’écrire sur un bout de papier. J’ai écrit ce texte en pleine période de BAC. Le soir après les épreuves, expédiant les révisions des matières à venir, je me mettais à écrire.
L’image a été prise par Marine R. en Bretagne. Les muses au fond sont un peu comme des ombres, on ne peut les saisir mais elles ne nous quittent jamais.
Bye et bonne lecture.
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Lettre
le 1 juillet,
A ma muse,
Te souviens-tu de notre rencontre ? Quand je pense à toi tout se brouille. Dis- moi, j’avais quel âge lorsque tu as enfanté dans mon sein tes gouttes d’imagination, l’essence de ces émotions qui troublent mes sens ; j’avais quel âge quand je suis née ? Mes souvenirs sont partis en fumée, soufflés par le temps et la peur que ma mémoire ne les rattrape pour brandir ses secrets sur la feuille…ou peut-être est-ce moi qui crains la vérité ?
Aussi loin que je remonte tu as toujours été auprès de moi, m’observant , me guidant. A chaque tournant de ma vie tu m’as pris par la main, elle était douce ; tu m’as poussée en avant, trop brutalement. A chaque blessure infligée ton papier blanc était comme un bandage sur ma peau violée, un voile transparent devant mes yeux que brûlait la réalité. A chaque fois que je prends ma plume je pense à toi.
Petite je ne prêtais pas attention à tes signes, tes clins d’œil mais tes murmures à mon oreille nous liaient à jamais. Petite je m’étonnais certains jours de ne pas te voir, d’autres fois j’aurais voulu que tu ne viennes pas. Petite, peu m’importaient ces idées, ces pensées d’adultes que tu immisçais dans mon esprit. Petite je ne m’inquiétais pas d’aimer.
Je voudrais tenir à toi comme on tient à sa mère, vivre à tes côtés sans que tu prennes la mer, navire d’illicites sentiments, et me laisses seule sur la Terre. Emmène- moi jusqu’à la Lune que j’y plante la plume et y dessine à l’encre mes rêves d’enfant et d’aventures ! Nous n’avons tous qu’une seule mère, pourtant sans toi je me sens orpheline.
Et puis un jour j’ai senti ta présence plus vive, plus forte. Intense. C’est comme se rendre compte que depuis des années mes faits et gestes sont épiés, notés, enregistrés ; c’est réaliser que nous ne sommes pas maîtres de nous- mêmes et qu’il existe en nous quelque chose de suprême. J’ai commencé par te renier, te repousser, puis j’ai élevé un bouclier. Mes sentiments se sont embrasés, étoiles filantes dans l’obscurité. Ce jour- là, sans que je ne le lui aie intimé, mon cœur nous a présentées.
J’essaie de me souvenir de ton nom. Je n’y arrive pas. J’essaie de dessiner ton visage. Je dérape. Tu m’échappes. Tu es plus que des lettres alignées les unes derrière les autres, qu’une tâche d’encre, plus qu’un trait sur une toile, que des éclairs dans nos yeux. Tu es la brise qui gonfles ma voile, ces battements qui animent mon cœur, tu es l’imaginaire, l’impossible au bout des doigts, tu es l’envie d’aimer, la force de continuer, tu es le désir secret, cette part de moi que je ne peux renier, tu es l’absence qui déçoit, l’orage du désert. Tu n’es pas singulière…tu es plurielle. Tu es elles.
Doute. Hésitation. A quoi bon écrire si personne ne peut lire ? J’aime trop apercevoir des étoiles dans les regards, je veux signer des sourires sur les visages, je ne peux me passer de cette excitation chaque fois que je te propulse sur scène sous les projecteurs des critiques. Ma feuille est une colombe où le nuage de mes folies a laissé s’échouer quelques perles de ciel bleu. Muse, à quoi bon t’écrire si tu ne peux lire ? Je ne connais pas ton adresse.
J’ignore ton âge, ton nom, ton visage. Mais je suis sûre d’une chose : tu as les cheveux longs des femmes.
Il est tard, tout le monde est parti se coucher. Pourtant tu restes là à mes côtés. Tu m’empêches de dormir. Près de toi je ne sais qu’écrire et ressentir.
J’ai passé ces années à guetter un idéal, à te poursuivre inconsciemment. Mais a-t-on jamais enlacé la simple création de son esprit ? Je refuse de croire que tu n’es pas réelle. Laisse- moi t’offrir un corps, être humaine. Laisse- moi t’imaginer encore, sans gêne. Laisse- moi te voir dans ceux que j’aime pour qu’enfin je puisse te prendre dans mes bras. Tu sais, les feuilles se froissent dans nos mains d’écrivain.
Dans la vie tout n’est que réciproque, équivoque. On parle pour être entendu, on écrit pour être lu, on offre pour avoir reçu…alors pourquoi je t’aime tandis que je ne sais même pas si, au fond, tu existes vraiment ?
Tous les auteurs te cherchent et te convoitent. Ils n’acceptent jamais que tu partes, même un bref instant. Ils te veulent enchaîner à leurs lignes quadrillées? Ils s’élèvent contre ta blancheur, te couvrent de suie. Ils te veulent soumise quand soudain ils ont peur que l’échec ils n’essuient, ils proclament reine celle qui derrière les barreaux va périr et cette page vierge qui les tourmente, ils la violent avec prétention, assouvissant leur désir de possession. Et pourtant je les admire, eux qui savent te commander quand je ne parviens à t’amadouer. Je crois que tu es la liberté, ces oiseaux que l’on ne voit que l’été. Quand je serai grande avec toi je partirai. Je veux sentir de mes ailes l’ivresse du succès.
Et puis je t’aime et je te hais. Tu as volé mon enfance, tu m’as offert la différence. Je voudrais te défier sans coups de poings, dans le silence. Je voudrais te blesser d’émotions pour instaurer en toi le besoin de ma présence. Je ne veux pas être seule à t’aimer, à t’écrire. Je veux espérer plus qu’un sourire. Si tu savais…dans un seul baiser tu peux insuffler tout un avenir.
Muse, je peux tout inventer, tout ! Ériger des univers, enfanter la vie, consumer les sentiments pour tuer l’impossible. J’ai un poignard dans la main. Muse, sois mon complice ; aide moi à rêver, permets- moi de t’inventer. Sans toi tout n’est que monologue.
Il y a des jours où j’ai peur de ne plus savoir écrire, de régresser, de tout perdre, d’oublier qui je suis. Terreur de ne plus te voir. Ces jours là je pense à toi et toujours le même mot revient, rassurant : Passion.
A mes muses,
J’ai le rêve de connaître la renommée, l’espoir de changer les esprits, j’ai l’envie de vivre l’impossible, le désir d’écrire sans limite. J’ai besoin de vous.
Comme un mot ne peut suffire à créer un roman, un Homme seul ne peut tout faire changer. Comme une émotion peut éveiller l’inspiration, des Hommes unis par un même but peuvent instaurer la volonté d’un progrès.
Muses, semez l’imagination dans chaque esprit pour qu’un jour puisse enfin éclore le désir de liberté! Je vous laisse vous envoler.
Vous reviendrez, je le sais.
Je l’ai écrit.
Julie.
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