2nd avril 2019

Roue-âme

Salut à tous !

Avec des amis on a recréé en quelque sorte le « Cercle des Poètes disparus » ou disons plutôt « le Cercle des Artistes disparus » car notre objectif est d’accueillir toutes les formes d’art. On se donne ainsi un thème et c’est parti ! A vos marques, prêt, feu ! Imaginez !

Puis il s’agit de retrouver qui est à l’origine de quel texte. Et parfois…on croit savoir que l’on se trompe ;-)

Alors aujourd’hui je vous présente le texte que j’ai écrit pour la première édition du Cercle des Artistes. Le thème était…Rouage !

L’image à la fin est issue du musée d’Orsay.

Bye et bonne lecture.

PS : n’hésitez pas à cliquer sur l’image pour l’agrandir et lire directement dessus…là était tout le but !

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Cercle extérieur (début en haut au milieu) : “Et si c’était toi ? Qui murmure parfois qui hurle. Ce regard sur le monde, cette lueur de vérité aussitôt partie en fumée. Et si c’était toi ? Cette peur de l’au-delà, ce mécanisme bien huilé qui ne veut pas s’arrêter. Parait que morte tu vis encore.”

Créneaux du cercle extérieur : “En es-tu bien sure ? Tu sais que tout ceci n’est que poussière dans notre tête. Nos yeux fermés tout est noir et pourtant je rêve de toutes les couleurs dansant à la frontière de l’éternel réveil. Demain viendra l’aube que nous aurons imaginé, iréelle et insensée. Tout comme ces mots que nous avons posés. Et au seuil de la mort nous saurons peut-être alors qui je suis.”

Lignes entre cercle extérieur et intérieur : “Ose regarder, Essaie de comprendre, pauvre mortel, démêle les fils de l’iréel, enfonce toi toujours plus loin, doute de tout. Du rien.”

Cercle intérieur : “Je n’existe pas. Je suis ce trou en toi, lacune de la science, vieille réminiscence d’une peur séculaire, n’être que poussière. Tout tourne en toi, chavire en moi. Vertige”

Créneaux du cercle intérieur : “Ne pars pas, attends moi. J’ai peur d’être seule avec moi même. Seule avec mon être. Dis, que devient tout notre monde à la fin ?”

Cercle intérieur marqué A : “Inspirer. Illusion. Expirer. Confusion. Asphyxier les questions. Oublier.”

Cercle intérieur marqué M : “Je vis la mort. Je rêve l’éveil. Savoir.”

Cercle intérieur marqué E : “On voit en noir et blanc. Tu es rouge sang.”

Cercle à l’intérieur du A marqué R : “Tic Tac Vie Tic Tac Cours Tic Fuis !”

Cercle à l’intérieur du A marqué O : “Six Cinq Quatre Trois Deux Un”

Cercle à l’intérieur du M marqué U : symboles mathématiques “pour tout / vide / il existe / différents / infinis”

Cercle à l’intérieur du E marqué E : “Nous tous moi toi”

Cercle à l’intérieur du R marqué ? : “Moi – Toi = … …

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5th août 2018

Trop plein

Salut !

Récemment, en me demandant mon avis pour un poème, un ami m’a dit « quand  tu sentiras de l’émotion, j’aurai réussi mon défi ».  L’émotion…tout un monde.

La première photo a été prise en Finlande lors des premières neiges et la seconde vient de l’Arctique.

Bye et bonne lecture !

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Trop plein

Sur la neige fondue des trottoirs piétinés,
Sous la chaleur accablante des jours abandonnés,
Face à la houle de ses yeux déchaînés,
D’un détail tu nais.
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Assise sur un canapé gris,
A la lumière solitaire d’une pièce à vivre,
Devant le mur vierge de l’avenir,
Je t’écris.
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Pour insuffler un peu de sens,
A tes silences, tes assonances.
De censures en évidences,
Comprendre ton errance.
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Va t’en, laisse moi en paix !
Tu croyais vraiment que je pouvais te porter ?
Une émotion de plus, une lettre, un gravier,
Et je vais me noyer.
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15th décembre 2017

Cauchemars

Salut !

Il y a une semaine, en rentrant du travail (et oui maintenant je ne suis plus étudiante alors que depuis que je tiens ce site je l’ai toujours été ! Il faut dire qu’en quelque sorte nous naissons étudiants. Enfin là n’est pas le sujet !) j’ai eu une idée de poème. Et surtout l’envie d’en écrire un. Cela faisait tellement longtemps…depuis l’été 2012….

Les photos ont été prise durant un voyage en Finlande il y a un mois.

J’espère que vous apprécierez ce nouveau poème sortie d’outre-tombe !

Bonnes fêtes et bonne lecture !

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Cauchemars

Dans nos rêves, rouge, un corbeau s’envole
Car la trêve n’est plus et les corps tombent.
Nus dans leur uniformes, face à la mort se frôlent,
Des Hommes. Le jour est d’ombres.
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Aux tréfonds de la nuit, le monde devient paradoxale :
Qui ne vit que pour mourir,
Dans un trou, criblé de balles ?
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Des cris et des ébats ; muets on se débat,
Pour un peu d’air et de lumière,
Rattraper un corbeau qui ne reviendra pas.
Il est parti pour demain et c’était hier.
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Nous nous réveillerons à ses côtés,
Transits et brûlants des effluves partagées,
Pour regarder l’heureux éveil
De celui qui ne rêve pas.
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20th juillet 2017

Légende d’un nouveau récit

Bonjour,

Je reporte les posts, je reporte et soudain je me rends compte que cela fait plus d’un an que je n’ai pas posté. Je ne m’en serai pas cru capable. Oh je vous rassure, j’écris ! Souvent ! Depuis 2 ans maintenant je me suis lancée dans un récit, un long récit qui j’espère pourrait devenir un roman. Et vu que j’écris ce récit bah…je n’écris rien d’autre qui puisse alimenter ce site. On m’a toutefois fait remarquer que je pouvais poster le tout début de mon récit (je parle de récit parce qu’en fait il n’a pas de nom encore même s’il fait 80 pages !). C’est ce que je fais alors ici. Un prélude, un avant-goût… la suite viendra un jour, en livre papier je l’espère. Mais pas tout de suite ! J’ai tant à écrire encore et je suis si longue à écrire !

La première photo correspond à l’open pit de la mine de Kevitsa en Finlande.

Alors voici une légende, celle d’un roman qui peut-être verra le jour.

Bye et bonne lecture !

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Légende d’un nouveau récit

A l’aube des temps le ciel était nu et la plaine constellée de taches de rousseurs. La nuit, le vent apportait parfois aux oreilles des Hommes un son étrangement métallique mêlé à celui de l’herbe dansante. Bien souvent les regards s’élevaient vers le ciel et ils se rappelaient de ce temps où ce que voyaient leurs ancêtres n’était point la nudité des femmes au soir de leurs noces, riche de promesses et emplissant l’imaginaire des hommes. Le dénuement qu’ils contemplaient était celui des mendiants dans la rue, rabattant le pan de leur cape pour se protéger tant bien que mal du froid, la terre du paysan après le gel de décembre et l’âtre où les buches se sont éteintes. Un ciel sans étoiles. Face à cette noire vision le cœur des Hommes, toujours, s’emplissait d’un malaise indéchiffrable. Cela toutefois, c’était avant que les Poètes n’apparaissent.

Ils pénètrent sur la lande un matin d’automne, leur long manteau couleur nuit faisant bruisser dans leur sillage les feuilles jonchant le sol encore humide de la rosée. Le dos droit et la démarche assurée, ils portaient une capuche masquant leurs visages baissés. Il parait que leur cape était cousue dans un morceau de ciel tombé sur Terre, à l’époque où cette dernière projetait encore dans le firmament des flammèches incandescentes. Traversant les champs de blé et les forêts insondables ils s’arrêtèrent à flanc de montagne, dans le creux ménagé par une ancienne grotte aux parois érodées. Se munissant de pioches et de lanternes, leur pas les guida dans les ténèbres de la nuit et bientôt les villageois virent disparaitre les derniers halos de lumière. Après avoir patienté quelques heures, les Hommes se dispersèrent pour retourner à leurs activités. Seuls quelques enfants rodèrent encore autour de la grotte malgré les récriminations de leur parents, attendant pleins de curiosité que les Poètes remontent. Quelques semaines plus tard, tandis que tombaient sur la plaine les premiers flocons de l’hiver, le village s’anima à l’approche d’un enfant. A peine avait-il transmis son message qu’il repartait déjà sur la route qui l’avait vu arriver : les Poètes avaient refait surface. Rassemblés devant l’entrée de la grotte, les villageois les rejoignirent petit à petit tout en gardant bonne distance, laissant entre eux comme une auréole de neige immaculée. Le soleil avait disparu derrière l’horizon et seul son souvenir éclairait encore la terre. Les arbres alentours avaient revêtu le noir de l’anonymat et contrastaient sur le ciel d’un bleu sombre. La scène toutefois était parfaitement discernable et la lumière diffuse qui l’enrobait telle un voile se réverbérait sur la neige fraichement tombée. La lueur provenait d’une pierre polie au creux des mains des Poètes et bientôt, sous les regards pieux des villageois, cette dernière s’éleva dans les airs. A son passage les flocons semblèrent s’allumer comme des paillettes dans l’obscurité, chutant inexorablement tandis que le cœur lumineux poursuivait son ascension. Rapidement, les yeux ne purent plus témoigner de l’avancée de la pierre et nul ne peut dire à quel moment cette dernière s’acheva. Tous se souviennent cependant de cet instant, variable indéterminée ajustée par les rêves et espoirs de chacun, où, soudain, le ciel se para d’une étoile. C’était une femme que seul un collier de perle habille, un bourgeon perdu dans l’immensité du désert et l’étincelle qui brille au coin des sourires.

A partir de ce jour les villageois n’eurent plus qu’une idée en tête : apprendre le secret des Poètes. Aménageant l’entrée de la grotte, ils en retirèrent les écueils pour permettre à chacun de descendre à la suite des magiciens et façonnèrent dans les parois l’âtre des flambeaux devant les guider jusqu’à leurs maîtres. Des jours durant les Poètes transmirent leurs savoirs dans les ténèbres de la terre, enseignant aux Hommes l’art de façonner les étoiles. Tout débutait par la recherche de la pierre qui, jamais, ne pouvait être laissée au hasard. Les yeux devaient guetter à chaque instant, parmi la multitude de roches et de minerais, la pierre dont l’éclat résonnerait d’un écho particulier dans les cœurs ; tout comme les yeux guettent dans chaque être cette différence qui nous attirera irrésistiblement vers lui. Avec maintes précautions la pierre devait ensuite être extraite de son carcan pour être polie. Il y avait, dans les mouvements des Poètes, une étrange douceur et passion plus proche des caresses des amants que des coups de burin et à chaque frappe la pierre s’emplissait d’un peu de lumière. Certaines étaient rouges comme le soleil couchant, tiède chaleur diffuse ; d’autres d’un bleu profond semblaient prêtes à se consumer. Leurs œuvres achevées, chacun remonta à la surface et, après un dernier regard pour celles qu’ils avaient chérie sans relâche des jours et des nuits, levèrent les bras très hauts pour offrir une étoile au ciel. Alors le miracle se répéta et le cœur des Hommes s’emplit de plénitude, de ce sentiment d’accomplissement que seul peut engendrer un don de soi.

Cette réussite marqua toutefois la fin de la mission des Poètes et, peu après que les étoiles eurent pris place dans le ciel, la lande endormie vit leur départ. Il parait que cette nuit-là, la cape des magiciens brillait étrangement et si certains n’y virent que l’éclat des flocons de neige sous la Lune, d’autres associèrent cette lueur à celle des étoiles nouvellement nées. Avec les générations furent transmis les secrets des Poètes et bientôt la nuit ne fut plus si obscure. L’innocence et l’émerveillement premier des Hommes face à la naissance des astres ne tardèrent cependant pas à se ternir tandis que des zones d’ombres apparaissaient dans les recoins de leurs cœurs. Ainsi naquirent les naines brunes, étoiles avortées à la pâleur fantomatique. Ces dernières mais également d’autres, à peine moins pâles et n’ayant pas bénéficié d’assez de passion, peinaient à gravir le firmament, vacillant à la moindre bourrasque de vent. A cette même époque, les motivations des Hommes évoluèrent. Au lieu d’offrir une part de soi au ciel, ils portaient désormais sur ce dernier un regard de conquérant. Certains en venaient même, un filet à la main, à voler les étoiles. Afin de pallier ce problème et de fixer dans le ciel les étoiles chancelantes ; de gigantesques machines furent bâties, prenant appui dans la terre pour élever dans les airs leurs énormes bras métalliques. Ainsi, la lande fut recouverte de tâches rouille grinçant parfois dans la nuit et les étoiles, suspendues à des pointes de fer, n’étaient plus que des objets sujettes au commerce des Hommes avec le ciel. Quelques-uns cependant, aspirant à retrouver la relation originelle avec les astres, partirent voyager à travers le monde à la recherche des Poètes depuis longtemps disparus. Ils devaient, parait-il, marcher jusqu’au lieu où la terre rencontre le ciel pour venir s’allonger dans le berceau des étoiles et se laisser alors porter jusqu’à la porte des magiciens. Franchissant les montagnes à pic et les gouffres de roches, traversant les forêts sans ciel et les déserts inconstants, ils en vinrent avec les siècles à oublier leur but tandis que deux groupes distincs se formaient. Car si le temps avait, dans leur esprit, enseveli l’objectif de leur long voyage ; leur cœur lui n’avait pu l’oublier et la recherche des Poètes guidait, d’un murmure à l’oreille de l’inconscient, chaque choix de leur vie. Le premier groupe partit sur l’océan pour naviguer au milieu des astres tandis que le second s’enfonça dans la terre pour chercher l’étoile mère dont ils pensaient que chaque pierre était issue, germe de lumière. C’est de ce groupe dont ils descendent, les Gueules noires, les mineurs à la recherche d’étoiles.

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25th juin 2016

2064

Salut !

Voici un texte que j’ai écrit récemment au milieu de mon projet plus grand d’un roman !

Bye et bonne lecture !

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2064

A toi qui sais tant de moi mais dont je connais si peu…

Te souviens-tu de ce jour où j’ai décidé de t’écrire ? Assise au bureau de mon petit appartement de Strasbourg, par la fenêtre, j’ai levé les yeux vers le ciel. C’était un petit carré de firmament il me faut avouer. D’un gris blanchâtre de fin d’averse. Sur les toits l’eau gouttait encore et les tuiles, gorgées de pluie, avaient perdu de leur éclat. Quatre petites fenêtres coupaient la monotonie de cet océan couleur brique et réfléchissaient la lumière des nuages. Sur la crête du bâtiment, horizon entre l’humanité et l’infini, un pigeon se moquait de la pluie. Le temps de coucher une phrase et il s’était envolé.

Lorsqu’on m’a conseillé de t’écrire, la première chose que j’ai faite a été d’essayer de t’imaginer. Comme on dessine dans sa tête les contours d’un personnage de roman. Ton visage et tes cheveux. Ton regard. Mais, de même que pour mes héros, j’en fus incapable. Vint ensuite tout le reste, ton histoire et ton présent. Tout ce que j’avais voulu lire dans tes traits sans pouvoir simplement les distinguer. Je n’ai jamais été douée pour le dessin. Je cherchais quelque chose à quoi me raccrocher, une certitude, ne serait-ce qu’une hypothèse un tant soit peu crédible. Mes mains se refermèrent sur du vent. Tu fuis, tu cours et t’envoles, refusant les cages. Et qu’importe si dans la forêt, le chercheur a chargé son arme.

Comment prétendre alors t’écrire si je ne connais rien de toi ? Pour une réponse ? Elle ne viendra jamais. Tu ne vois pas ? J’écris seulement à des gens qui ne me répondront jamais. Des figures décédées aux ombres derrière moi. Tu n’en es pas si différente au fond. Oscar, des muses, toi… Je répète que j’aimerais écrire à de grands auteurs, des petites gens qui ont changés ma vie, mais pas un mot n’a été posé. Est-ce que je ne t’écris pas parce que je sais que jamais une réponse ne viendra ? Peut-être que je sens que je ne pourrai m’ouvrir autant si tu existais.

Serait-ce alors pareil si j’écrivais à mes personnages ? Des héros sans nom pour la plupart, comme si je refusais de leur donner une identité. Dans une dizaine d’histoires il n’y a qu’un personnage que j’ai nommé, à moitié forcée. Quelque part je voulais qu’ils soient libres, non pas sans nom mais aux milliards d’identités. Comme ces étoiles que chaque peuple a nommé à son image et qui appartiennent à tous sans appartenir à personne. Un prénom, ce n’est pas une identité. On nait avec alors que l’on ne se connait pas encore, souvent même le prénom vient avant l’être. Certains, prenant conscience du poids de quelques syllabes, décident de les changer. De renaître. Jamais je n’écrirais cela s’il y a trois jours je n’avais pas rencontré quelqu’un qui, bien que surement du même âge que moi, refusait ses prénoms pour chercher celui qui lui correspondrait. Sur la feuille de présence il n’avait rien noté. Même si nous gardons notre nom, la façon de le prononcer, de l’envisager et de peser chaque syllabe évolue avec nous. Je pourrai écrire ici ton prénom mais quelque part je ne sais pas comment le dire. Il y a tant de façons. On peut le chuchoter, l’articuler, le proclamer ou le bafouiller. Certains les scandent, d’autres les psalmodient. Il me faudra des années pour choisir comment prononcer le tien.

As-tu des regrets sur ta vie ? Aimes-tu simplement l’être que tu es devenu ? Cet Homme qui se cherchait et semblait se perdre un peu plus dans chaque ligne posée sur le papier. A quoi ressemble ton monde ? A mes rêves de Vendetta ou aux cauchemars des jours de passivité ? Réponds moi ! Tu ne vois pas que je suis perdue parfois, que j’ai l’impression de courir dans un songe où l’univers recule sous mes pas et où le temps n’est suspendu que pour moi ? Tu ne pourrais pas m’écrire un peu pour une fois ? Moi qui ait passé des années à écrire en cherchant sans le savoir à te connaître un peu mieux. Écrire pour changer un monde auquel j’aimerais que tu appartiennes. Dis moi seulement comment faire… Il parait que seul on ne peut rien. Je n’ai que quelques mots à ma portée et tant d’actes à faire émerger, tant de consciences à éveiller – la mienne ne faisant pas exception à la règle. Quels mots choisir ? Dans un monde où des centaines de langues sont parlées, évoluent chaque jour et meurent parfois. Est-ce seulement des mots qu’il faut employer ?

Tu sais déjà tout. Tout ce que je vais te dire et tout ce que je pourrai te dire. Alors pourquoi cette lettre ? Peut-être qu’au fond, malgré tout ce que j’ai dit, ces lignes ne te sont pas adressées. Même si je me suis efforcée de penser à toi tout au long de cette lettre, à mes yeux quelque part, tu n’existes pas. Être en devenir. A travers cet être inconnu de 2064, c’est à chaque lecteur que je m’adresse. Ceux dont je ne connais rien mais à qui, cherchant des réponses, je me suis ouverte. Ceux qui ont compris qui j’étais avant que je ne le réalise moi même. Tout ceux qui participeront à forger l’avenir incertain de 2064, qu’ils soient vivants pour le voir ou mort depuis longtemps. Ces lecteurs qui, peut-être, après avoir connu qui je suis, influeront sur celle que je serais.

Te souviens-tu qu’un peu plus tard, sur le toit gondolé, ils étaient deux oiseaux ? Mais dans la ville il y en a des milliers. Peut-être autant qu’il y a d’Hommes.

Celui que tu imagines.

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20th février 2016

Les lumières de l’automne (2/2)

Salut !

Oula, cela fait longtemps que je n’ai pas posté ! J’en suis même venue à oublier le dernier texte posté ! Et notamment qu’il devait y avoir une deuxième partie. Je vous la présente donc aujourd’hui, en espérant que vous vous souviendrez du début (ou que vous aurez la force de le relire).

Les lumières de l’automne (1/2)

Bye et bonne lecture !

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Les lumières de l’automne (2/2)

Il est des révolutions contre lesquelles il semble qu’on ne puisse rien faire. Toutes leurs pensées étaient rivées sur la destruction de la ville et il se retrouvait seul sur son muret face à la folie d’un peuple. Sa main errait doucement sur la pierre et s’agrippait parfois à son extrémité comme on resserre sa main sur le bras d’un être cher pour exprimer tous les mots que les lèvres assiègent. Il regardait les Hommes pointer leurs fusils sur les immeubles et ses nuits s’emplissaient petit à petit des cris des habitants rongés par le remord, de tous ces habitants qui se réveillaient le matin le visage creusé de cernes, incapables de chasser de leurs rêves l’ombre de la ville. C’était une guerre sans trêve, l’expression physique d’une révolution interne.

Lorsque l’enfant avait compris que leur objectif n’était autre que l’anéantissement de la cité il avait cherché à la protéger par tous les moyens. Ses petits doigts tiraient sur les manches des habitants pour leur demander d’arrêter mais ils ne remarquaient même pas les larmes dans ses yeux. Toutes les guerres devraient prendre fin par la simple requête d’un enfant en pleurs.

Un jour, ramassant sur le sol les pierres encore en état il tenta de rebâtir le mur de la cour de l’école. Je me souviens de ces briques : elles étaient rouges, un rouge un peu fané recouvert de poussière. Une à une il avait empilé les briques, les époussetant préalablement du bout de sa manche. Puis, tandis que sur la pointe des pieds il tentait de déposer une dernière pierre, la rumeur de la foule s’était faite entendre dans son dos. Sans même avoir eu le temps de s’écarter il avait été projeté au sol, invisible dans les yeux des fous, et avait tout juste pu relever la tête avant de voir son mur s’effondrer comme un château de cartes, comme un coquelicot aux fragiles pétales. Ce jour là un dessin apparu aux côtés des pierres fanées, premier d’une longue série.

Si les habitants souhaitaient ensevelir leurs souvenirs sous la poussière, lui espérait pouvoir rendre éternelle celle qu’il aimait. Mais il semblait que ses dessins, jamais, ne ramèneraient la ville à la vie.

Je me suis souvent demandé ce que les habitants pouvaient voir dans les murs de la ville et quels pêchés ils avaient pu commettre pour être ainsi assailli de remords. J’ai tenté d’en inventer, de bâtir de toute pièce les pires crimes imaginables. Toutefois j’ai vite abandonné : on ne peut inventer ce qui existe déjà. Il me suffisait de fermer les yeux pour voir se dessiner les Hommes adossés au mur, attendant l’impact de la balle ; les femmes que l’on plaquait contre la pierre pour mieux les violer et ces enfants se roulant en boule contre les briques pour se protéger des coups. Je revois ce mur de la cour de récréation contre lequel je m’adossais, espérant que cette fois personne ne viendrait me blesser de ses mots ; les murs des couloirs que je rasais et dans lesquels j’aurais aimé me fondre pour disparaitre aux yeux des autres et tous ceux que j’avais frappé, violence que plus rien ne maîtrise. Personne n’a envie de revenir sur les lieux de ses crimes, alors comment faire lorsqu’on vit dedans ?

Peut-être qu’au milieu de ces milliers de personnes rongés par le remord, certains souhaitaient simplement voir disparaître la cité pour ne plus fouler tous les jours ces lieux marqués par leurs larmes. Si la ville avait été de fer, je crois qu’elle serait désormais couleur de rouille.

Une légende raconte qu’un enfant serait un jour venu se perdre dans les rues de la ville. Il aurait toqué à la porte massive de l’enceinte que nul jamais ne franchit et elle lui aurait ouvert son cœur.

Parfois, assis sur le rebord d’un muret ou d’un trottoir, indifférent à l’agitation alentour et au jour décroissant, certains le surprenaient à remuer les lèvres sans pouvoir entendre les mots qu’il murmurait, souvenirs d’enfance dont seules les images subsistent. Quelques uns prétendent qu’il complotait au cœur même de la cité, d’autres qu’il lui récitait des poèmes d’amour pour la séduire. Je crois, moi, qu’il lui racontait simplement sa journée avant de lui dire bonne nuit.

Le regard qu’il portait sur la ville était différent de celui des autres habitants : au lieu de fixer les cicatrices il s’attardait sur l’éclat des yeux, repoussant l’horreur il venait s’accroupir près d’un sourire. Il la trouvait belle comme elle était, avec ses vieux cimetières en ruine et ses tours de béton armé. Peut-être parce qu’il s’endormait tous les soirs au creux de ses bras ou parce qu’il apercevait, au travers de la muraille, les champs de blé passés. Peut-être parce qu’il avait trop d’espoir pour s’arrêter aux erreurs de l’humanité.

Petite je disais toujours que je n’aimais pas la ville et que je voulais vivre à la campagne. Je n’aimais pas ces murs m’emprisonnant alors que je ne demandais qu’à courir, libre, dans les prairies. Je n’aimais pas ces rues emplies du bruit de la foule et de celui des voitures masquant le chant des oiseaux et le rire du vent dans les arbres. Je ne supportais pas tous ces gens autour de moi qui m’épuisaient, leurs regards qui nous font courber le dos et leurs remarques venant se nicher au creux de nos cœurs pour attendre l’instant où ils pourront germer.

Je détestais la ville mais j’y ai passé les 20 années de ma vie et en passerait encore beaucoup. J’y ai tant de souvenirs…

Petite je fuyais, disparaissant au sein de mes mondes que je peuplais de montagnes et de prairies, de forêts et d’animaux sauvages. Aurais-je détruit les villes si j’avais pu ? Aurais-je détruit ma ville ?

Je ne crois pas. On ne peut pas détruire nos souvenirs, on les fuit juste le temps de pouvoir retourner sur les lieux de leurs baptême et leur faire face.

Je n’aurais pas voulu faire disparaitre cet enfant.

C’était l’automne, triste saison qui pleurait. Les habitants avaient fini par abattre jusqu’aux arbres et dans le parc les troncs se mêlaient désormais aux feuilles mortes. Leur écorce humide commençait à se recouvrir de mousse et leurs branches alignées sur le sol semblaient vouloir ramasser les souvenirs envolés. Assis au sommet d’un des derniers arbres encore debout, un enfant dessinait. Il dessinait chaque feuille que les baisers du temps avaient rougis et leurs reflets sang dans les flaques d’eau, ces feuilles que les habitants avaient froissé, piétiné, déchiré. Il dessinait un rêve qui s’effritait déjà dans les mémoires comme on pose sur papier nos mondes nocturnes, comme on ferme les yeux pour se repasser les instants de nos vie que l’on se refuse d’oublier. Alors, juché en équilibre précaire sur sa branche, les yeux rivés sur un présent fané, l’enfant ne vit pas qu’un homme s’approchait, une hache à la main. Il ne vit pas l’acier se planter dans le bois à en faire vaciller l’arbre et aperçut seulement le monde qui soudain chavirait. Peut-être aurait-il pu se raccrocher à une branche s’il avait lâché son carnet de croquis mais cette idée ne l’avait même pas effleuré : il ne voulait pas perdre la ville une deuxième fois.

Ce jour là un homme vit 1m47 d’espoir tomber de l’arbre, sa hache à la main. Il vit une luciole battre des ailes avant de chuter, un petit bout de lumière s’enfoncer dans l’obscurité. Comme tous les habitants il avait participé à la destruction de la cité, jamais il n’avait hésité. Cependant, en cet instant précis, il sut que s’il ne lâchait pas son arme, s’il ne tendait pas les bras pour rattraper l’enfant alors sa vie n’aurait plus aucun sens. Ce petit garçon lui était complètement inconnu mais il dut sentir que son salut se trouvait peut-être en lui et qu’il n’avait pas le droit de laisser s’éteindre le dernier être qui, dans cette ville, n’était pas tâché de rouge.

Ce jour là, au beau milieu d’une cité à feu et à sang, deux mains en coupe se joignirent pour sauver une petite luciole de l’oubli. C’était l’automne sur la ville.

Vous êtes-vous déjà demandé comment quelque chose d’aussi petit pouvait percer des ténèbres aussi profondes que la nuit ? Pourquoi notre regard se raccroche désespérément à ce point de lumière vacillante et semble encore plus perdu lorsqu’il disparait ?

Ce que j’aime le plus dans les lucioles ce sont ces instants où elles s’éteignent et où on part à la recherche de l’endroit où elles réapparaitront, notre cœur expérimentant sans cesse la joie de la naissance de la lumière.

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27th septembre 2015

Les lumières de l’automne (1/2)

Salut !

Voici la première partie d’un texte écrit je ne sais plus quand ! Début d’année dernière mais plus précisément je ne peux vous dire.

Bye et bonne lecture !

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Les lumières de l’automne (1/2)

Au soleil couchant le cessez-le feu avait été déclaré. Les rues, plus rouges que l’horizon, avaient été désertées, chacun allant chercher un peu de sommeil derrière son mur gris, sa maison de barbelé. Les façades de pierre s’effritaient dans le vent comme si elles euent été de sable, comme un tombeau enfoui volerait en éclats sous les rayons du soleil. Chaque jour dans les rues de nouvelles artères voyaient le jour, implosion d’une ville au goût de poussière, et les couleurs semblaient s’être envolées du monde sur le dos des oiseaux ayant fuit peu de temps auparavant. Seul subsistait le blanc des visages et des pupilles immobiles, le noir des nuits sans étoiles et le rouge de l’horizon mis à mort par la Lune. Le gris au fond n’était que le doute des paupières mi-closes tentant d’observer le paysage tout en refusant la pâleur des corps.

La nuit, après que tout le monde se fut assoupi, le vent au travers des avenues donnait à la ville une respiration aux allures de râle qu’entrecoupait parfois le crissement d’une mine sur le papier. Assis en tailleur au milieu d’une ruelle, de dos on eut dit un grand manteau gris suspendu dans les airs tandis qu’à ses pieds gisait le sol meurtri, dénudé par le vent. De face toutefois il semblait moins effrayant, enfant tenant entre ses mains un petits calepin aux bas de page cornés par le temps et la violence. Ce soir là il s’appliquait à dessiner un coquelicot et voulait le faire si beau qu’il aurait pu séduire toutes les abeilles. Lorsque son crayon dérapait il humidifiait son index du bout des lèvres avant d’effacer la bavure. Son ouvrage achevé il décrocha la feuille, la déposa sur le sol puis fit demi-tour. Peu après, lorsque la poussière eut repris ses droits, elle découvrir aux côtés du croquis un coquelicot fané, emporté par les déflagrations des combats. J’aurais bien voulu embrasser ses pétales encore rouges.

Au fond inventer une histoire c’est un peu comme essayer de se rappeler d’un lointain souvenir, un de ces souvenirs d’enfance aux proportions déformées et où les jardins de jeux ont la taille des forêts. Le cadre est flou et les protagonistes sans visage. Petits êtres dans la tumulte ils lèvent les yeux vers le ciel sans comprendre. Pourquoi pleurent-ils ? A l’arrière d’une voiture, à moitié assoupies, de frêles oreilles se tendent pour saisir des mots, des idées et rajouter ainsi quelques touches de couleurs à leurs mondes. Dans l’étourdissement du sommeil tout n’est alors plus que flashs de lumière et de son : ils dessinent des portes sans maison et des arbres qui se fanent, bercent des rêves au creux de leurs bras avant de relier les étoiles pour leur jouer un de ces airs que les parents fredonnent aux enfants. Se souviennent-ils seulement pourquoi le coquelicot ne respire plus ?

Voici l’histoire d’une ville, une ville sans époque ni pays, ruine crachant de la poussière comme d’autres du sang. C’est l’agonie d’une cité ayant atteint son apogée, la démence d’un monde dont le squelette vacille, trop lourd de ses péchés. Son peuple a depuis longtemps disparu, prenant les armes pour la détruire. Ils n’entendent même plus sa complainte, mélange de détresse et de colère, effrayante résignation d’un être qui sait que jamais il ne pourra lever la main sur ses enfants. Pourtant, plus le temps passe plus il devient évident que la population ne survivra pas à la chute de sa cité : leurs corps se font plus maigres à mesure que les ruelles disparaissent et leurs peaux semblent devenir aussi blanche que la Lune. Certaines femmes en viennent même à se coudre sur les lèvres des pétales de coquelicot pour leur redonner le rouge d’antan. Un seul habitant refuse la mort de la cité et tente de la protéger : un petit enfant au long manteau gris. Il parait qu’il est tombé amoureux d’elle il y a longtemps.

Lorsque je regarde la ville désormais je peine à me souvenir de son visage d’antan, reconnaissant tant bien que mal ses traits sous les cicatrices. Toutefois si les images sont floues les sentiments, eux, sont restés intacts et je ne peux m’empêcher de poser sur elle un regard empli de respect et d’admiration. C’est face à la douleur que l’on reconnait les plus grands Hommes. Je me souviens de ses immenses boulevards où fourmillait la vie, du ballet de la foule et de la lumière interprétant ses plus beaux reflet sur les parois des tours, miroir d’un coucher de soleil. Je revois les étoiles de la ville s’allumer une à une sur les frontons des boutiques tandis que descendait le lourd rideau de la nuit, poursuivit chaque fois par les longs manteaux gris, ombres chinoises errant dans les rues assoupies. Si seulement j’avais su dessiner, peut-être aurais-je pu ranimer la ville pour lui rendre la splendeur de nos souvenirs.

Il était né il y a bientôt dix ans loin de la ville et nul ne pouvait dire si c’était dans le village voisin, la forêt en bordure ou une lointaine contrée car tous ignoraient le visage du monde hors de l’enceinte de la cité. Assis sur le rebord d’un muret jouxtant un ancien cimetière, ses jambes se balançaient dans le vide tandis que son regard errait dans les rues rougies par le soleil. Depuis combien de temps dessinait-il la ville ? Il ne s’en rappelait plus. Ni de cela ni du nombre de feuilles griffonnées qu’il avait déposé sur le sol, les murs ou les bâtiments. Il n’avait, je crois, même pas compté. Lançant sa jambe au dessus du muret il fit pivoter son buste pour faire face au cimetière. Compte-t-on lors d’une guerre le nombre de personnes auxquelles on ôte la vie ? Ne préfère-t-on pas l’oublier ? Les tombes alignées tombaient en ruine alors même que cette partie de la ville n’avait pas encore été saccagée. Peut-on seulement l’oublier ? Se chevauchant les unes, les autres on eut dit que les tombes se soutenaient tandis que sur une plaque de marbre gisait le corps fatigué d’une rose rouge. Ses pétales ridées se reposaient sur une feuille de papier à leurs côtés, un peu jaunie, comme si elle voulait annoncer la venue prochaine de l’automne. Dépose-t-on des roses en hommage aux êtres qui nous étaient chers ou pour offrir à ces fleurs une digne sépulture ?

Une révolution n’arrive jamais au hasard et on ne peut dire non plus le jour où elle naquit. Elle est le fruit d’une longue maturation des sentiments initiée par le bourgeonnement d’une fleur sur laquelle un grain de pollen vint un jour se poser. Toutefois je sais que toutes les révolutions fleurissent dans les cœurs. Le soulèvement de la population débuta derrière le voile d’une vie en apparence tranquille et bien peu auraient pu dire que le fruit, gorgé de remords, tomberait un jour de l’arbre. On eut dit un de ces hivers qui s’installent sans qu’on ne les entende arriver, déposant les prémices du froid flocon par flocon. C’était le 8 décembre, l’air se troublait sous la respiration des passants et sur les trottoirs enneigés le temps, imperceptiblement, venait recouvrir les traces de pas. Les gens se croisaient sans se saluer ni même se reconnaître, enfonçant leur menton dans le col redressé de leurs longs manteaux tachés de blanc. Je me suis souvent demandé pourquoi cela avait eu lieu un 8 décembre car rien ne prédestinait ce jour à marquer le début d’une nouvelle ère. Aujourd’hui cependant, avec le recul, je me dis que pour quelqu’un dans cette ville le fruit était soudain devenu trop lourd. Je ne sais plus si c’était un homme ou une femme, un enfant ou vieillard. C’était quelqu’un, c’est tout. Quelqu’un qui depuis longtemps déjà avait dû détourner le regard des murs des bâtiments et des pavés pour finir par rentrer chez lui en courant, les yeux à demi-fermés. Quelqu’un qui revoyait dans chaque brique, chaque arbre, tuile ou lampadaire les remords d’un peuple et les souvenirs que l’on tente d’oublier. Quelqu’un qui ne pouvait plus regarder le reflet de ses actes dans le miroir de la ville. Le 8 décembre, en rentrant chez elle, cette personne s’était alors arrêtée face au muret jouxtant le portail d’un vieux parc. Sortant un couteau suisse de sa poche, la lame avait taillader le mur sans relâche jusqu’au soleil couchant. Jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus y voir la moindre parcelle de son visage. Quelques jours plus tard ce parc n’existait déjà plus.

Après avoir inventé cette histoire j’ai pensé à lui. C’était, je crois, la première fois qu’une histoire me ramenait à un homme. Toutefois ce n’est pas l’homme qui m’est venu à l’esprit mais l’être : son côté pessimiste, résigné ; ses mondes sans espoir voués à l’oubli et ses personnages déjà morts. Aurait-il inventé un tel univers ? Au début je le pensais. A chaque fois que j’allumais dans mon esprit les lampions de la ville je songeais à lui et me demandais ce qu’il en penserait lorsque je la lui montrerai. L’aimerait-il ? Je réalisais cependant plus tard que ce n’était pas son monde. Les gens ne le savent pas mais on les glisse un peu tous dans nos histoires. Parce qu’ils sont loin et qu’ils nous manquent, parce qu’on tient à eux un peu plus qu’on ne veut se l’avouer, parce qu’on voudrait leur parler mais qu’on ignore comment et leur transmettre un message qu’ils refusent d’entendre. Jamais il n’aurait inventé, je crois, ce personnage. Différence d’un mètre quarante-sept. Aurait-il dessiné le rouge des lèvres aimées ? Tous mes mots sont bleus.

Lorsque la première pierre a commencé à rouler, le sol se dérobe sous les pieds des autres. C’était comme si, la première entaille faite dans le muret du parc, plus rien n’aurait pu arrêter la révolution de se mettre en marche. Ceux qui, depuis des décennies, avaient tourné le dos à la réalité et fermé les yeux sur le passé virent resurgir dans la faille l’ombre des souvenirs prisonniers et découvrirent sur leurs mains le sang séché des années d’indifférence. Alors, comme muent par un invisible besoin, les habitants cessèrent petit à petit leurs activités quotidiennes pour se munir de marteaux et de pioches. Ils voulaient détruire la ville de leurs propres mains, sentir trembler la pierre et piétiner la poussière. S’ils avaient pu effacer leurs souvenirs ils l’auraient fait mais, à l’inverse, chaque coup infligé à la ville réveillait en eux la douleur des remords. Ils ressemblaient à ces animaux pris au piège qui se débattent avec d’autant plus d’ardeur que l’étau se referme autour de leur cœur.

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31st mai 2015

De ma fenêtre

Salut !

Je pars à la fin de la semaine prochaine en Irlande pour trois mois, autant poster un texte alors avant de partir car je ne sais pas si j’aurai trop la tête à cela là bas. Ce texte est le dernier que j’ai écrit, les autres étant tous trop longs pour être posté en une seule fois.  J’ai essayé ici d’écrire quelque chose de différent de d’habitude. J’espère que cela vous plaira. Si vous avez des questions n’hésitez pas !

Bonne lecture !

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De ma fenêtre


Tout commença par une image, un plan fixe en plongée dans la nuit. Les Hommes, vu de haut, perdaient de leur corpulence et la discussion semblait animée plus par les ombres que par les corps. Regroupés en cercle serré, la plupart avaient la tête baissée et le dos voûté, comme s’ils souhaitaient masquer l’asphalte sous leurs pieds. Une fine pluie tombait en rythme régulier et seul était perceptible le son des gouttes s’écrasant sur le sol. Le son des gouttes s’écrasant sur les leurs pour les percer d’un bruit mat. Sur les lèvres des Hommes des mots se formaient sous les regards fébriles avant d’être emportés par la pluie. Certaines ombres manifestaient plus d’assurance et leurs visages se crispaient parfois de colère tandis qu’ils détachaient distinctement deux syllabes. La première naissait par la séparation brutale des lèvres jointes, découvrant bien souvent des dents serrées dans un rictus de menace à peine dissimulée, tandis que la deuxième entrainait juste un étirement des coins de la bouche qui serait passé pour un sourire sans un regard de mépris inflexible. Invariablement des tremblements naissaient chez certains qui commençaient à s’affairer sous leurs parkas sans plus chercher à dissimuler leurs peurs. Très vite alors les mains se chevauchaient, s’effleuraient malencontreusement. Si un billet venait à tomber par terre son propriétaire, se jetait dessus avant de le frotter contre ses habits pour essayer d’en ôter l’humidité. La transaction effectuée, chacun repartait de son côté. Ils disparaissant dans l’ombre pour ne laisser qu’un sol trempé et piétiné au croisement de deux rues. La pluie cependant continuait à tomber, relief fugace dans la lumière du lampadaire.

La route, un peu vieillie, ressemblait aux visages de ces personnes dont on dit qu’elles ont tout vécu : limpides dans la nuit elles se révèlent au toucher couvertes d’aspérités. La progression du fourgon était chaotique et lente, comme si ce dernier souhaitait laisser le temps au lampadaire de faire un dernier adieu aux passagers assis à son bord. Dans la rue le silence s’était installé. Le monde semblait dormir…une de ces soirées où l’on sait que le matin notre regard se portera vers l’avant mais où on ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à ce que l’on laisse derrière soi comme si on souhaitait graver le souvenir du chemin parcouru. Les secousses du fourgon, au lieu de briser le calme de la nuit, paraissait provenir de son rêve. D’abord lointain, il se rapprocha petit à petit, comme un animal se faufilant et sur lequel les regards se penchent. Bientôt, le bruit du métal s’entrechoquant se fit entendre. Cette sonorité ne lui était pas tout à fait inconnue et même s’il ne l’avait jamais entendu comme telle, elle réveilla de vagues souvenirs. Les vélos et les chiens que l’on attache, le sentiment que le même métal l’avait enchainé à cette terre, l’empêchant de s’enfuir et le forçant à rester spectateur d’un manège qu’il aurait préféré ignorer. Soudain un soubresaut anima le véhicule et une voix familière s’éleva, hésitante, égarée : un jeune homme qui sent que la vie lui échappe.
« As-tu déjà tué un Homme ? »
Doucement le fourgon tourna pour entrer dans le halo de lumière. Il ressemblait au visage flou des personnages de nos rêves dont on connait intimement l’identité mais qui différent en quelque chose de la réalité. Éclairé, le toit d’un blanc sale détonnait dans la nuit. Somnambule sur la Terre, la Lune, ce soir, n’était plus si ronde.
« Oh, c’est bien, reprit la voix. Enfin je veux dire…ta sentence ne devrait pas être trop importance. Quelques mois et tu seras relâché, non ? » Il bégayait, sans plus chercher à garder un semblant de contenance. Aucune fenêtre sur la plage arrière du véhicule, juste des surfaces blanches rendues fantomatiques par la faible clarté du réverbère.
« Et pourquoi tu… » La voix mourut. Déjà le fourgon s’éloignait, petit homme boiteux disparaissant dans le noir. Quelques mots planèrent toutefois un moment, question sans réponse d’une voix un peu plus grave, plus mature mais aussi plus désespérée lui rappelant des sanglots familiers.
« As-tu déjà aimé un homme ? »

Il naquit un jour sans Lune et jeta sur le monde un premier regard maladroit. Les ombres étaient trop grandes, un peu difformes et la lumière trop vive aveuglait bon nombre de créatures qui, à peine sorties, repartaient déjà dans les fourrés, le museau au ras du sol. Même les lucioles le regardèrent d’un mauvais œil, considérant le nouveau venu comme un concurrent immédiat pour les remplacer dans le cœur de la nuit. Ses grands yeux, curieux de tout, balayaient le paysage sans jamais prendre le temps de l’éclairer correctement , projecteurs imprévisibles surprenant l’intimité du monde. Les sons lui parvenaient étouffés, comme entourés de brume, petit être conçu pour voir et non pour entendre. De nombreux jours furent nécessaires pour lui inculquer qu’il devait se coucher à l’aurore et ne pouvait s’éveiller qu’avec les étoiles tandis qu’il fallut attendre des années pour qu’il parvienne à trouver l’origine d’un son avant que celui-ci ne meurt. Malgré le temps, le respect de l’intimité lui resta toutefois étranger, incapable d’agir comme si le monde ne s’était pas dévoilé sous ses yeux. Il aimait l’hiver et ses longues nuits mais plus encore l’été qui emplissait les rues d’animations. Situé à l’entrée d’un parking, au croisement de deux routes peu fréquentées, il ne connaissait pas grand chose du monde mais s’en contentait. Cependant, comme les enfants pensent que jamais ils ne grandiront, le lampadaire songeait que jamais son univers ne changerait. Le corbeau ne s’était pas encore posé sur son épaule.

Débouchant d’une des ruelles, la silhouette s’avança, le pas lourd et la démarche chancelante. De loin sa chemise débraillée et entrouverte était discernable et sa carrure large d’épaule ne trompait pas. S’il avait tout l’air d’avoir passé une soirée un peu trop arrosée, ce sentiment s’envola aussitôt lorsqu’il se mit à courir soudainement, les poings serrées et le menton rentré. Sous ses habits tous ses muscles étaient bandés. Il n’arrêta sa course effrénée qu’à hauteur du lampadaire, pour y décocher un violent coup de poing. Ses épaules furent alors prises de soubresauts et il resta un moment ainsi, les bras ballants, tandis qu’un filet de sang gouttait de son poing meurtri. Il devait approcher de la quarantaine mais semblait aussi perdu qu’un adolescent. Se laissant finalement glissé le long de la barre en fer, il ramena ses jambes contre lui et ne chercha plus à dissimuler ses larmes. Dans ses mains le portrait d’un jeune homme inconnu se troubla petit à petit. Comme d’un commun accord, la lumière se fit décroissante, peut-être plus pour l’apaiser que pour le masquer aux yeux de la nuit. Le réverbère aurait aimé connaître ce qui se tramait dans le cœur de l’homme et quel élément avait pu éveiller en lui un tel dégoût de sa personne au point de n’aspirer qu’à se blesser. Le corbeau lui donna sa réponse.
« Il me rappelle ce camarade albinos qui s’était un jour roulé dans le pétrole jonchant le rivage pour masquer un peu sa différence. » D’un battement d’aile l’oiseau s’envola.
« Il me plaisait bien pourtant, avec son plumage blanc… »

Le roulis des feuilles mortes sur le sol, coque du bateau qui vient entailler l’océan. Les cris qui se rapprochent, enflent comme le grondement de la tempête. Sur le ponton des éclats d’eau jaillissent, relents fétides d’alcool. Leur progression est désorganisée, masse confuse d’écume qui s’étire et se contracte, se meut au grès des courants comme un banc de poisson se contorsionnant pour éviter les mailles du filet. Banc d’hommes qui fonce, aveugle, au devant des matraques. La tempête masque la visibilité et il n’est bientôt plus question de nord ou de sud de droite ou de gauche au milieu des fumigènes. Puis le ciel, lentement se dégage, ombres qui fuient. Ne restent sur le sol que les décombres des vies passées. Alors le lampadaire observe ces Hommes si différents d’eux mêmes après l’orage et cherche autour de lui les restes du monde qui était sien tout comme le mat guette les Hommes qui sont tombés à la mer tout en sachant qu’il est déjà trop tard.

Assis dos au lampadaire, il comptait. Un à un les billets venaient se nicher entre ses genoux serrés et ses lèvres formaient en rythme régulier les chiffres qui se succédaient. Mais chaque fois, à peine avait-il fini que l’incertitude le gagnait. Reprenant la liasse dans ses mains, le même manège recommençait alors. De façon un peu plus fébrile, un peu plus rapide. Plus le temps passait plus il jetait des regards autour de lui, comme s’il craignait qu’une personne ne le surprenne. Ce fut au milieu d’un de ses décomptes qu’un homme surgit au bout de l’allée. Il s’avança d’une démarche assurée vers le halo de lumière. Fourrant les billets au fond de la poche de son manteau le jeune homme se leva en se soutenant au lampadaire et attendit que le nouveau venu arrive à sa hauteur. Il n’était pas tard et si le soleil était déjà couché derrière l’horizon, son souvenir hantait encore le ciel d’un bleu tirant sur le noir. Les rues toutefois étaient désertes : les feuilles mortes s’amoncelaient sans que personne ne soit là pour les ramasser et, près des bancs, des bouts de verre jonchaient le sol. Lorsque les deux hommes se séparèrent, le premier regarda ses mains. Ses mains toujours emplies de papiers. Ses mains vides qui tremblaient. En manque de billets.

Cet hiver, le lampadaire s’en souvint. L’absence de vie et les longues journées passées à observer un monde qui n’était plus le sien, à se souvenir. Il revoyait les enfants courir dans la neige, emmitouflés dans leurs écharpes et leurs bonnets, tourner autour de lui pour s’attraper et se cacher derrière son mince corps. Il se souvient de ce froid mordant que le soleil ne parvenait pas à chasser et de son corps qui, petit à petit, se raidissait. Du métal que rien ne pouvait réchauffer. Il attendait le printemps comme on attend les premières lueurs du jour pour échapper à une nuit emplie de cauchemars.

Lorsque le poignard fusa de sous le manteau noir, le geste était maladroit et empreint de désespoir. Morsure de l’animal qu’on accule. Quelques billets jonchaient le sol tandis que d’autres, encore dans les mains de l’homme, se tachaient de rouge. Soudain le noir se fit, percé ça et là de quelques étoiles filantes perdues dans la ramure d’un oiseau. Perché sur le lampadaire un corbeau venait de déployer ses ailes. Plumage albinos.

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