Souffle Mots

La tisseuse et le forgeron.

16th décembre 2008

La tisseuse et le forgeron.

Salut !

Ce week end, comme je vous l’avais dit la semaine dernière, je suis partie à Paris. C’était merveilleux, j’ai l’impression d’avoir vécu une semaine entière au lieu de deux jours. Samedi à l’UNESCO j’ai participé à un débat sur "Résister et militer" et surtout j’ai vu et entendu Stéphane Hessel, (âgé de 91 ans !) qui a tenu un discours a l’assemblée des jeunes des clubs de l’UNESCO.

Dans le groupe l’ambiance était fantastique, alors je vous dit pas les fous rires dans le train couchette quand on était six. Malgré notre emploi-du-temps très chargé on a quand même visité la tour Eiffel et Notre-Dame-de-Paris et le retour a été rude.

Enfin bon, aujourd’hui je vous propose un conte que j’ai écrit durant les vacances de la Toussaint et que je viens de terminer de corriger après l’avoir montrer à ma prof de français.

J’espère qu’il vous plaira et n’hésitez pas à critiquer.

Bye et bonne lecture.

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La tisseuse et la forgeron

 

    Il était une fois, au milieu d’une immense forêt, un petit village dont le nom s’est perdu dans les âges.

Il était situé sur un surplomb découvert, si différent du reste du paysage, où fourmillait une multitude de petites maisons en chaume. Toutes avaient un jardin où poussaient des légumes et une magnifique allée de fleurs resplendissant de mille couleurs devant le portail.

Evidemment presque tous les villageois se connaissaient et beaucoup de familles n’en formaient en réalité qu’une.

En apparence ce village semblait ordinaire et ne méritait pas que l’on conta son histoire. Pourtant il était unique : il avait une tisseuse.


     La tisseuse était une vieille femme au teint blanchâtre et aux traits creusés que tous nommaient « Mère ».

Elle habitait sur la place du marché et lorsqu’elle sortait de chez elle c’était le dos voûté, ses cheveux gris masquant son visage et un panier au bras pour faire ses courses.

La tisseuse était la doyenne ainsi que la matriarche du village et tous la respectaient. Les sages racontaient qu’elle avait quatre cents ans mais nul n’en était vraiment sûr car jamais elle n’avait révélé son âge et aussi loin que les villageois s’en souvenaient ils l’avaient toujours connue une canne à la main et le visage marqué par le temps.

Parfois de jeunes couples venaient toquer à sa porte. Elle les faisait entrer et ils lui tenaient ces propos : « Mère, nous voudrions un enfant. »

Alors la vielle femme souriait de ce sourire qui sait tout et elle prenait leurs mains dans les siennes. Il lui arrivait quelques fois de rester ainsi des heures paumes contre paumes à écouter leur coeur qui sonnait sans cesse les cloches de la vie.

Lorsqu’elle en avait fini ses doigts venaient de nouveau se nouer derrière son dos et elle les congédiait.

On l’appelait la tisseuse de vie car le lendemain matin, au moment même où naissait le soleil, les rues du village s’emplissaient du cri perçant d’un nouveau-né et les heureux parents sortaient de chez eux en courant pour rejoindre leur enfant qui dormait désormais paisiblement dans les bras de la vielle femme.

Nul ne savait comment elle s’y prenait mais ils étaient habitués à côtoyer cette magie divine et ne s’en étonnaient pas car ils étaient tous nés dans la petite fabrique de vie de la tisseuse.

Cependant les compétences de la matriarche ne s’arrêtaient pas là car elle pouvait aussi soigner les blessures et guérir les maux.

Souvent elle voyait accourir dans sa demeure une foule d’habitants inquiets qui portaient leur confrère blessé.

La vielle femme ordonnait alors qu’on l’allonge sur le lit. Elle s’asseyait ensuite à ses côtés et sous le regard émerveillé de tous, ses petits doigts agiles commençaient à tourner autour de la plaie. Au début rien ne se passait mais petit à petit, sans que l’oeil ne s’en rende compte, la blessure rapetissait jusqu’à disparaître complètement, comme si la peau avait été recousue.


     Jours après jours le temps passait et jours après jours la tisseuse se faisait de plus en plus vieille. Elle décida alors de chercher un disciple à qui elle pourrait transmettre ses connaissances. Pour se faire elle demanda à ce que tous les volontaires se présentent à elle sur la place du marché à minuit le jour de la nouvelle lune.

C’est ainsi qu’à la date prévue une foule d’habitants vinrent entourer le bassin où était assise en tailleur la vielle femme.

Il y avait là des personnes de tout sexe et de tout âge qui n’attendaient plus que la doyenne prenne la parole.

Plusieurs minutes s’écoulèrent dans le silence le plus complet jusqu’à ce qu’un enfant, probablement le plus jeune, ne s’exclama impatient :

« Mais pourquoi Mère nous avez-vous fait convier en ce lieu en pleine nuit alors que nous avons froid et que nous n’y voyons rien ? »

Si toute la foule se tourna vers lui, la tisseuse, elle, ne bougea pas mais répondit dans un murmure :

« Mons fils, sache que la nuit est de loin la meilleure conseillère, que c’est dans l’ombre la plus totale que brille le plus la vérité et qu’avant d’essayer de connaître en plein jour les hommes et les femmes que vous êtes, il faut savoir reconnaître dans l’obscurité les animaux que nous sommes. C’est la nuit que nous révélons notre vraie nature. »

La tisseuse les aligna ensuite en deux colonnes et les fit se pencher au dessus du bassin. Chaque fois elle leur demandait : « Que vois-tu ? » et chaque fois les villageois répondaient: « Mon visage. ». Alors elle leur posait la question suivante : « N’y a-t-il rien d’anormal ? ». Et tous niaient.

Ainsi chaque personne passa au dessus du visage de l’eau et chaque fois la tisseuse les renvoya chez eux.

« Tu es aveugle. » disait-elle.

Lorsqu’il ne resta plus qu’une personne celle ci s’avança vers le bassin et s’arrêta devant la matriarche : « Bonsoir Mère. »

C’était un nain boiteux à la face déformé. Il parlait lentement comme si cela lui était difficile.

« Allez-vous en, vous n’êtes pas mon fils. » déclara la vieille femme.

Le petit homme la fixa un instant et elle soutint son regard.

« Votre vision s’est obscurcie Mère.

  -  Mais je peux encore voir votre visage. »

Alors le nain se détourna et repartit dans le noir.

     Les années passèrent, les enfants grandirent et les adultes vieillirent. La tisseuse se choisit un disciple et commença à lui enseigner son métier. L’apprenti n’était pas vraiment doué pourtant il s’intéressait.

La doyenne disait qu’à force d’entrainement il devrait arriver à soigner mais que jamais il ne donnerait la vie : il était aveugle.

Cependant le temps ne passe pas sans laisser de traces et parfois la poussière soulevée par son passage nous ensevelit plus vite que nous le croyons.

Un jour que la tisseuse soignait un malade, ses mains se mirent à trembler et elle blessa le villageois, ouvrant sur sa peau une plaie.

Pour cet homme brulant de fièvre la vie ne tenait plus qu’à un fil et la tisseuse coupa le fil.


     A la suite de cet événement tragique la vieille femme délégua ses fonctions de matriarche à son disciple et se cloîtra chez elle. Telle fut la phrase qu’elle prononça avant de refermer la porte de sa demeure devant une foule impuissante : « Vouloir aller trop loin c’est reculer. »

Les jours qui suivirent la retraite de la doyenne les habitants tentèrent d’agir normalement et de ne rien laisser paraître de leur anxiété. Tous comptaient respecter la décision de la tisseuse et les villageois allaient et venaient donc dans la maison du disciple, demandant conseils et soins. Mais derrière cette façade chacun se lançait des regards inquiets et une lourde atmosphère planait comme si le village était un deuil.

En réalité, toutes les bouches n’aspiraient qu’à poser une question : « Comment vont naître nos enfants ? »

Néanmoins nul ne la formula car cela aurait été reconnaître la situation critique dans laquelle ils se trouvaient et ils tentaient tant bien que mal de garder leur sang froid. C’est ainsi que s’écoula le premier mois et nul ne vint déranger la tranquillité de la vieille femme.

Mais au bout du trente-deuxième jour d’absence survint ce que tous redoutaient en silence : la preuve.

Dans la nuit, éclairé par l’unique scintillement des larmes de ses parents mourut le premier enfant.

Alors des cris de tristesse et de peur emplirent le village surpassant ceux des mourants et le lendemain le disciple tombait malade.

C’était le début de l’épidémie la plus meurtrière de l’Histoire et la plus contagieuse car elle se transmettait par le simple regard. Elle portait à cette époque le nom de désespoir.

Les villageois comprirent par la suite que c’était de cette maladie dont était victime la tisseuse de vie et qu’elle se répendait plus vite que nul ne l’eut imaginé.

Quelques jours plus tard la folie gagna les habitants affaiblis et ils se mirent à courir dans les rues en hurlant que la mort était proche. Certains fuirent avec leur famille dans la forêt et la plupart vinrent devant la porte de la matriarche supplier son aide à genoux mais elle répondit seulement :

« Partez. Cette maladie est inconnue et jamais je n’ai appris à la guérir. »

Ce fut alors pour le village la fin de tout espoir et les habitants se cloisonnèrent chez eux pour attendre patiemment la délivrance.

Pourtant, alors que le village avait sombré dans le silence et dans l’immobilité, si l’on tendait bien l’oreille il résonnait dans les sombres ruelles un bruit.

Au loin dans un petit atelier en bordure de la forêt travaillait un forgeron et l’éclat de son fer illuminait d’espoir le frêle entrepôt tandis que son marteau frappait le mortel ennemi.


     Une semaine passa, puis deux, et à l’aube de la troisième alors que les habitants avaient renoncé à sortir de chez eux pour se nourrir; il apparut au milieu de la place un nain.

Quelques têtes étonnées sortirent par les fenêtres et même des enfants se risquèrent à l’extérieur pour s’approcher timidement de l’étrange homme boiteux dont le sourire éclairait son visage déformé.

Ce dernier s’avança vers la maison de la tisseuse de vie accompagné désormais d’une foule d’habitants curieux. Arrivé devant la petite porte il s’arrêta et toqua. Le village retint sa respiration.

« Qui est là ? » demanda une voix fébrile à l’intérieur de la demeure.

« Je suis le forgeron d’espoir et je viens, Mère, vous remettre vos armes. »

Le nain s’accroupit alors et il glissa sous la porte deux baguettes à tisser qui resplendissaient sous les rayons du Soleil levant.

De nombreuses minutes s’écoulèrent dans ce calme pesant avant que la poignée ne s’abaissa laissant entrevoir le visage fripée mais rayonnant de vie de la tisseuse.

«  Mes enfants, veuillez je l’espère pardonner la vieille femme que je suis de l’élan de peur et de doute qui m’a il y a plusieurs mois assailli me faisant prisonnière de mes propres craintes.

Mais ne vous inquiétez pas que je suis guérie et je vais de ce pas réparer ma négligence. »

Alors pour la première fois les villageois connurent la lumière, la vrai, non cette froide et lointaine chaleur que leur procurait le Soleil.

La vieille femme ouvrit grands les bras et sous la clarté magique de la vie et de l’espoir elle se mit à briller de mille feux révélant à tous la jeune fille qu’elle avait été autrefois.

Et lorsque la luminosité atteignit son apogée et qu’elle devint aveuglante une vague de chaleur déferla sur la foule, consumant les douleurs et emportant les larmes sur son sillage.

Pour la première fois les villageois connurent le jour.

 

     Dans la nuit qui suivit la guérison tous les habitants dormirent l’esprit léger et nul n’entendit la porte grincer. Seules les étoiles virent la matriarche sortir de chez elle et s’avancer silencieusement à travers les ruelles.

La tisseuse de vie savait où elle allait et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle fut arrivée à l’orée du bois sur le seuil d’une forge endormie.

Alors la nuit qui voit tout vit dans le coeur de la vieille femme et elle sut.

Dans l’ombre d’une petite maison elle assista de nouveau à la naissance d’un enfant s’étant déroulée des dizaines d’années auparavant.

Elle vit la doyenne prendre dans ses mains l’obscurité et lui tisser de ses doigts agiles un manteau de lumière.

Mais surtout, ce que la nuit vit et ce que la nuit retint fut le visage de l’enfant.

Sur un être pas plus grand qu’une paume de main avait été gravée la laideur du monde. Sa bouche était déformée, son nez aplati et sa peau couverte de taches noires.

Si la nuit se laissa attendrir par cet enfant que bientôt son voile noir devrait dissimuler au regard des autres, la tisseuse fut effrayée du monstre qu’elle avait créé et l’enroula dans des draps blancs avant de sortir et de donner cette créature à la nuit en prononçant ces paroles :

« Toi qui vois et toi qui sais, cet enfant est l’incarnation du mal. Prends le et fais-en ce que tu voudras. »

Alors elle le déposa à l’angle d’une ruelle puis partit.

Mais la matriarche avait oublié que la nuit était sourde et que ce discours était bien futile car dès la naissance de l’enfant l’ennemi du jour avait vu s’emplir de larmes et de culpabilité le coeur de la vieille femme. C’est pourquoi, avant que la tisseuse ne l’eut demandé, la nuit avait déjà promit en silence de s’occuper du petit.

Désormais que la doyenne était revenue à l’endroit précis où elle avait abandonné le bébé, la nuit s’étonna des quelques coups que la porte de la forge reçut.

Un nain boiteux vint ouvrir, celui là même qui était apparu sur la place du marché quelques heures auparavant.

Son visage restait de glace et la tisseuse prit alors la parole :

« Vous nous avez sauvé moi et le village alors que jamais nous vous avions aidé. Et tandis que tous avaient perdu espoir vous n’avez pas baissé les bras. Pourquoi ? »

Le petit homme la regarda puis sourit :

« J’espérais au fond de moi qu’un jour je puisse devenir votre disciple et que vous puissiez me guérir du mal qui me ronge. »

La vieille femme acquiesça :

« Si tel est votre souhait alors il sera exhaussé. »

C’est ainsi que la tisseuse de vie prit la main du nain dans la sienne et alla raccommoder en son sein le filament d’existence détruit.

Alors il apparut devant la matriarche étonné le plus bel homme qui soit et elle comprit qu’elle avait sans le vouloir relié le fil de la beauté du corps, auparavant détaché de la toile de vie, au fil de la beauté du coeur.


     Une heure à peine après la miraculeuse transformation du forgeron ce dernier et la tisseuse étaient assis sur le bord du bassin situé au centre du village.

« Vous m’avez dit que vous vouliez devenir mon disciple, soit. Mais il faut avant toute chose que vous passiez une épreuve. »

C’était une nuit sans lune et nul vent n’agitait la surface tranquille du bassin. Le temps semblait figé et seul l’imperceptible mouvement de tête de l’homme démontrait le contraire.

« Penchez-vous au dessus du visage de l’eau. »

Le forgeron s’exécuta.

« Que voyez-vous ?

-Rien. »

Un léger sourire apparut dans l’obscurité :

« C’est à dire ? »

L’homme réfléchit un moment avant de répondre avec précision :

« Je ne vois qu’un halo de lumière, le reste m’est invisible. Pourquoi ? »

Dans les rues pas une lanterne ne brillait, pas une lampe ne scintillait, c’était le noir.

La tisseuse se pencha elle aussi au dessus du bassin, posa sa main sur l’épaule du forgeron et déclara: « Félicitation, vous voyez la vie. J’ai l’honneur de vous nommer disciple de la tisseuse de vie…mon fils. »


     Des dizaines d’hommes et de femmes s’étaient un jour penchés au dessus du bassin mais tous n’avaient vu que leur visage, obnubilés par leur simple personne.

Cependant le forgeron d’espoir était différent et pour lui la vie que reflétait le miroir de l’eau ne s’arrêtait pas à un simple visage, car être différent c’est voir la vie différemment.

Cet homme que tous repoussaient n’était munis ni de beauté ni d’argent et n’avait qu’une petite forge pour vivre. Pourtant de tous c’était le plus riche : il possédait l’espoir.

S’il existait deux mains, l’une nommée Espoir et l’autre Vie, seules elles seraient infirmes car elles ne pourraient à la fois tenir et agir.

Pour concevoir elles doivent être deux.

 

 

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11th décembre 2008

Luciole (2°partie).

Salut !

Ce week end je pars à Paris visiter l’Unesco, ce serait enfin de vrais jours de repos…mais j’ai peur des grèves qui pourraient tout compromettre.

J’ai décidé de vous poster "Luciole" toutes les semaines environ parce que je sinon j’en ai pour quatre mois !

Mais ne vous inquiétez pas, j’alternerai avec d’autres textes au cas où ça ne vous plaise pas.

Je vais maintenant laisser la parole à Erwan :)

Bye et bonne lecture.

1- Première partie          6- Sixième partie

2- Deuxième partie         7- Septième partie

3- Troisième partie         8- Huitième partie

4- Quatrième partie        9- Neuvième partie

5- Cinquième partie

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Luciole.

 

    La porte s’ouvre et je pénètre dans la pièce. Mes yeux s’habituent lentement à l’obscurité tandis que j’observe chaque recoin et chaque objet. Je n’ai jamais pénétré dans la chambre de Lucie et ça me fait bizarre de la voir dormir. Normalement quand j’ai besoin d’elle, je toque et elle sort. Mais là je ne sais ce qui m’a pris je suis entré.

Posté devant son lit je la fixe. Sa respiration est calme et elle est roulée dans sa couette. Ainsi allongée elle a l’air encore plus petite que d’habitude et j’ai envie de la prendre dans mes bras.

Je fais le vide dans ma tête, ce n’est pas pour ça que je suis venu.

« Luciole…c’est Erwan. »

Elle ouvre doucement les paupières et se tourne vers moi toujours à moitié endormie.

« S’il te plaît tu peux venir j’ai un problème. »

Au son de ce dernier mot elle se lève brutalement et s’assied au bord du lit.

« Erwan, c’est toi?

 -  Oui Lucie. Je suis désolé de… » Elle ne me laisse pas le temps de terminer ma phrase et poursuit sans attendre.

« Qu’y-a-t-il ? Le feu s’est éteint ? »

Je n’aime pas la voir s’inquiéter ainsi mais je suis incapable de lui mentir : « Non. Pire. »

Soudain elle m’agrippe le bras:

« Tu vas bien au moins ? »

J’ai mal au ventre et je tombe de fatigue. Pourtant je lui souris et tout en l’emmenant hors de la pièce je lui explique : « Ce n’est pas de moi dont il est question. »


     Ma chambre est assez sombre : un lit, une commode pour ranger mes vêtements et une petite bibliothèque où sont disposés des livres relatant de la mer, des récits de voyage que j’affectionne particulièrement et quelques objets maritimes auxquels je fais toujours très attention.

Cette nuit il y a deux chaises en plus : celle sur laquelle je suis assis et celle sur laquelle Lucie est assise. L’enfant est dans mon lit et il dort désormais paisiblement.

Sa température a baissée mais j’ai laissé un gant mouillé sur son front après avoir désinfecté et pansé ses plaies.

« Pauvre petit… » murmure Lucie tout en caressant affectueusement les cheveux de l’enfant.

« Tu sais comment il s’appelle ? » Ne sachant pas je me tais. Depuis que je l’ai trouvé même éveillé il n’a pas dit un mot. Je me tourne vers Lucie :

« Est-ce que tu pourrais l’emmener chez le docteur pendant que je garde le phare ? Ce n’est probablement que de la fatigue mais ça m’inquiète. Il a tout de même trente-neuf de fièvre et plusieurs hématomes. Et puis ce n’est pas normal de le trouver ici au milieu de la nuit. Ca me rassurerait si… »

Elle me prend la main. Je me mets à trembler. C’est la fatigue qui me fait cet effet ? La peur ? Ou l’émotion ? Peut -être les trois à la fois.

« Va dormir. » Je la regarde étonné. « Ce n’est pas à trois heures du matin que je vais descendre au village, le cabinet sera fermé. De plus l’enfant dort et pour l’instant il va bien. Ne t’inquiète pas je m’occupe de lui. »

Et bien sur, je ne peux pas lui dire « non ».


     Le lendemain quand je réveille je suis assis dans le fauteuil du salon, éclairé seulement par la faible lumière du jour qui perce à travers la fenêtre.

Le temps de me remémorer ce qui s’est passé durant la nuit et je suis debout.

Tout à coup j’ai honte d’avoir laissé Lucie veiller toute seule sur le gamin, cela aurait dû être l’inverse.

Je sors de la pièce et pénètre silencieusement dans la chambre. La porte grince. Je serre les dents et me glisse dans l’entrebâillement.

Lucie dort, le menton appuyé sur ses genoux recroquevillés. J’ôte mon blouson et le lui pose sur les épaules. Je me tourne ensuite vers le lit. Vide.

Mon coeur fait un bond dans ma poitrine tandis que je fais volte-face, effrayé que l’enfant puisse s’être enfuis. Je ferme les yeux, soulagée : il est assis au bord de la fenêtre.

« Tu m’as fait une de ces frayeur. » lui dis-je. Il se tourne vers moi et me désigne la mer.

« Tu veux aller la voir ? » Il me sourit.

« Viens j’ai encore mieux. » Je le prends alors par la main et on sort sur la pointe des pieds.


     « Tu t’appelles comment ? » Il ne répond pas : il observe l’océan. Nous sommes au sommet du phare et il est assis sur mon épaule.

Je lui ai donné un aspirine et je l’ai douché, mais quand j’ai voulu lui trouver un vêtement à sa taille il était trop impatient de monter et je lui ai alors enfilé une vieille chemise à moi qui lui arrive aux genoux.

Je le dépose délicatement par terre.

« Désolé je dois travailler. Mais si tu veux m’observer tu peux. »

Il s’assied dans un angle et ses petits yeux innocents me fixent tandis que je commence ma vérification journalière.

Je contrôle d’abord le feu, puis j’analyse l’optique. On ne dirait pas mais cela prend du temps. C’est un travail minutieux qu’il ne faut pas considérer à la légère car si un élément du système défailli on a de gros problèmes.

Ensuite je surveille l’horizon et la visibilité en m’assurant que les autres phares et balises fonctionnent correctement.

Le petit ne me lâche pas du regard, probablement plongé dans l’âme d’Etoile comme je le suis si souvent. Il est calme et ne pose même pas de questions, c’est rare pour un enfant.

« Comment es-tu arrivé ici ? » Aucune réponse. Je me tourne face à lui.

« Tu sais parler ? » Il cligne des yeux. Je prends cela pour un « oui ».

« Alors pourquoi restes-tu muet ? » Il a le regard vide. J’ignore s’il a entendu ma question. Je m’approche de lui, inquiet, et le soulève pour le prendre contre moi. « Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave. On va t’emmener au village et tu iras mieux. »

Il croise les bras autour de mon cou.

« Tu habites là-bas n’est-ce pas ? » Il acquiesse. « Tes parents vont être contents de te revoir ils ont dû se faire un sang d’encre. »

Tandis que je me dirige vers la porte la poignée de cette dernière se baisse et la tête de Lucie apparaît : « Le petit déjeuner est prêt ! »

Je lui souris. L’enfant aussi.

 

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5th décembre 2008

Luciole (1° partie).

Salut !

Aujourd’hui je vous présente le début d’une histoire que j’ai écrite durant les vacances (vous savez, celle qui m’a pris des semaines à corriger…). Elle se décomposera en dix parties je pense. Ce qui est bizarre c’est que, comme presque tous mes textes, je ne me souviens pas comment l’idée m’est venue; probablement grâce aux vacances chez ma tante en Bretagne. Mais c’est comme essayer de ce souvenir de ce que l’on voulait dire avant de l’oublier, je tente toujours de remonter à la source des idées mais n’y parviens jamais. C’est gênant parce que quand je veux inventer d’autres histoires je ne sais pas d’où partir…

Normalement je vous avais dit que je voulais auparavant vous donnez l’épilogue du conte Le gland qui voulait devenir grand mais je n’ai pas eu la force de l’écrire ces derniers temps, ma plume voyageant dans d’autres contrées. Néanmoins je pense le faire un moment, mon père me le réclamant bien souvent ;)

Avant de vous poster ce récit je l’ai montrer à ma prof de français et elle m’a dit qu’il faudrait mieux rajouter une prolepse (et je l’en remercie). C’est pourquoi après avoir suivis ses conseils je peux vous la présenter :)

Bye et bonne lecture.

1- Première partie          6- Sixième partie

2- Deuxième partie         7- Septième partie

3- Troisième partie         8- Huitième partie

4- Quatrième partie        9- Neuvième partie

5- Cinquième partie

 

 

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Luciole.

 

    Pas un bruit. Pas un mot. Juste mon bateau sur le bord de la plage.

Je n’attends pas qu’il s’arrête et saute dans l’eau. Le froid m’agrippe mais je résiste et commence à courir sur la grève.

Lentement le brouillard m’entoure et à chaque expiration de la buée se forme devant moi. Pourtant mon esprit est très clair.

Je pousse la porte.

Soudain telle une vague tous les souvenirs refluent et me submergent. Tandis que mon regard balaie la pièce ma mémoire fait marche arrière. Inconsciemment je remonte les jours, les mois et les années…cela fait si longtemps que je ne suis pas venu ici.

Petit à petit les brides du passé se reconstituent et m’entraînent avec elles.

J’ai néanmoins le temps de l’apercevoir. Elle est assise à la même place que d’habitude et j’ai l’impression que rien n’a changé.

Je lui souris.

« Luciole… »


    « Si tu étais un objet que serais-tu ? » Avait demandé la maîtresse. Sans hésitation j’avais répondu : « Une lampe. »


     Je m’appelle Erwan et je suis gardien de phare. J’ai commencé ce métier il y a quinze ans; j’avais alors dix-neuf ans. A cet âge là on ne pense normalement qu’à sortir avec les filles et à s’amuser, mais j’étais différent. Et à cet âge là, les autres ne comprennent pas que l’on puisse être différent…

Le phare qui m’a été affecté est situé sur une presqu’île de Bretagne et je l’ai alors nommé Etoile. Il est magnifique, tout en pierre avec une petite porte rouge. Il fait vingt mètres de hauts et se termine par une coupole de verre dans laquelle est située une lanterne dont la lumière éclaire les alentours à des kilomètres.

J’habite au rez-de-chaussé avec Lucie mais nous avons deux chambres à part. Un jour Lucie m’a posé une question : « Si je te disais que ce soir tu dois quitter le phare, m’écouterais-tu ? »

Je ne me souviens plus si je lui ai répondu, la réponse était tellement évidente : Jamais.

Jamais je ne quitterai mon Etoile. Les dures journées à essayer de réparer une fenêtre pour qu’elle se brise de nouveau le lendemain, les heures passées à entretenir l’optique, à surveiller l’horizon, le rituel d’allumer le feu, le bruit des vagues qui s’éclatent contre la pierre, l’inquiétude devant la tempête, les soirs d’été à lire face à la mer…c’est ma vie !

Mettez moi ne serait-ce qu’une semaine à Paris et je me jette dans la Seine. Certains disent que je suis fou, mais pas Lucie car même si elle n’est pas comme moi elle me comprend.

Lucie c’est ma coéquipière depuis quatorze ans. Je l’appelle souvent Luciole car elle illumine ma vie. Elle est toute petite, 1 mètre 55, mais elle a un doux visage, un sourire rayonnant, des yeux couleur océan et de longs cheveux noirs bouclés qui roulent sur ses épaules tels des vagues.

Parfois on dirait une enfant pourtant elle a trois ans de plus que moi et un fort caractère. Depuis que je la connais je ne l’ai jamais vu énervée. Quand quelque chose ne lui convient pas elle le dit et il y a tellement de fermeté et d’assurance dans sa voix que je l’ai toujours écouté…ou alors c’est que je n’arrive pas à lui dire « non ».

Vous comprenez je l’aime. Bien sur elle ne le sait pas et elle ne le saura jamais. C’est un secret entre moi, mon phare et l’océan.

Parfois je parle d’elle à la mer et elle ne s’en doute pas, elle voit juste un homme assis au bord de la grêve. Je lui parle de ses petites mains qui m’effleurent de temps à autres sans le vouloir et de son rire cristallin lorque je m’arrête net trop surpris. Cela fait quatorze ans que l’on vit ensemble, quatorze ans que je l’aime et malgré ces quatorze ans je ne me suis toujours pas habitué à son touché. Quand je travaille tard le soir et qu’elle m’attrape le bras pour m’inciter à aller me reposer dans ma chambre, elle se retrouve à moins de dix centimètres de moi et je ne peux pas m’empêcher de la fixer bêtement. Heureusement ça ne dure pas très longtemps, du moins pas assez pour qu’elle ne comprenne.

Parfois je me demande : « Et si je devais choisir entre elle et Etoile ? » Mais je n’ai jamais eu à choisir et c’est mieux comme ça.


     Tandis que je réfléchis à ma vie, le soleil décline à l’horizon et je suis adossé à la petite porte rouge du phare. Lucie dort, elle a eu une journée éprouvante, moi aussi. C’est l’été et les tempêtes se font rares. On n’en profite alors pour remettre le phare à neuf. Aujourd’hui j’ai repeins la porte et Luciole est allée faire des courses. On a toujours vécu chacun de notre côté, c’est peut être pour ça qu’elle n’a jamais rien remarqué. Je secoue vigoureusement ma tête: « Arrête de penser à elle ça ne sert à rien. » Je lève alors les yeux et mon regard se perd à l’horizon. L’herbe verte, les galets et l’ infiniment bleu… C’est beau la mer, en fonction du moment de la journée elle n’a pas la même couleur.

Mes paupières commencent à se fermer, je suis si fatigué. « J’aimerais bien regarder un coucher de soleil avec Lucie… » Mais dans mon esprit la nuit se fait et je m’endors.


     Soudain je me réveille en sursaut : des pas. C’est vrai, quand on dort à la belle étoile ce n’est pas les bruits qui manquent. Seulement je les connais tous : le lent reflux des vagues sur les graviers, le chant des grillons, le cri des oiseaux, le vent dans les feuilles des arbres, ou le grincement des volets. Il y en a une multitude et tous me sont familiers. A vrai dire ce n’est que ce son me soit inconnu, je l’entends tous les jours. Disons plutôt qu’il ne devrait pas être là à une heure du matin. Je me lève sans plus attendre et me dirige vers l’origine du bruit.

Je n’y crois pas. Je dois rêver. Je me frotte les yeux. Mais c’est bien vrai, l’enfant est toujours là étendu sur le sol. Il fait nuit et je n’y vois pas grand chose. Néanmoins je sais qu’il n’a pas plus de six ans: il est tellement petit. Je suppose également que c’est un garçon, il a les cheveux courts.

Mon coeur se met à battre très vite et très fort et je fais des efforts pour ne pas trembler. Est-ce cet enfant qui m’effraie ? Ou est-ce « Pourquoi cet enfant est là » qui m’effraie ?

J’avance lentement vers lui sans faire le moindre bruit. C’est stupide je devrais courir mais je n’y arrive pas : j’ai peur.

Alors que je me rapproche je le distingue mieux. Il a les vêtements mouillés en certains endroits et des griffures sur le bras droit. Elles sont récentes, quelques heures tout au plus. Il grelotte et ses dents s’entrechoquent mais il n’a visiblement pas la force de se rouler en boule. Ses pieds nus sont boursouflés et coupés en de nombreux endroits.

Tandis que je m’accroupis à ses côtés je remarque qu’il a les yeux rouges et que ses joues sont humides.

« Pourquoi pleures-tu ? » Cette question est inutile me dis-je : il a mal, il a faim, il a froid, il est fatigué, il est seul et il est triste. Mais j’ai besoin de lui parler. « Ne t’inquiètes pas gamin. » Je passe ma main sous sa tête brulante puis le prends dans mes bras.

Et vous savez, il s’est accroché à moi.

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