Souffle Mots

Le Plulumi-ère.

22nd avril 2009

Le Plulumi-ère.

Salut !

Les vacances ! J’essaie d’en profiter au maximum et j’ai de ce fait écrit un conte et j’ai enfin trouvé le temps de lire…

C’est Lettres à un jeune poète de Rilke, je vous en parlerai plus tard car je pense en faire un article.

Aujourd’hui je vous présente une nouvelle que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire, me laissant complètement emporter par l’histoire.

J’ai repris une idée que j’avais eu il y a quelques années et j’ai finalement trouvé la façon de l’écrire qui me convienne. Si je puis dire cette nouvelle s’est rapprochée de l’obsession chez moi (prenez bien sur le thème à un sens plus faible) car j’ai inventé toute l’histoire en une matinée alors que j’étais en train d’apprendre ma leçon d’anglais…

Enfin, je vais vous laisser lire et j’attends vos critiques avec impatience,

Bye et bonne lecture.

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Le Plulumi-ère.

 

     Nous sommes les enfants de la nuit. Nous sommes des hommes, des femmes, des enfants…Nous sommes des voleurs, des brigands, des meurtriers…Nous sommes des sans-papiers, des sans-sourires, des sans-avenir…

Mais avant tout nous sommes des frères.

Nous avons tous vu le jour dans la nuit. Nous avons tous ouvert les yeux sur une ville noire. Nous avons tous appris à notre coeur la haine de l’humanité.

Notre monde se résume à de sombres ruelles, à des taudis en ruines, à des lueurs blafardes qui dégoulinent le long des murs encrassés.

Notre Univers s’arrête à ce que les gens appellent dans le langage courant la « coupole », cette armature inconnue qui reflète l’obscurité; ce mur que dans notre dialecte nous nommons « cage ».

Notre terre se restreint à 2 Km², 2 Km² de misère, 2 Km ² de nuit.

Il suffirait pour comprendre notre désespoir de regarder nos visages. Cependant il fait trop sombre pour que vous le puissiez et nos faces sont trop horribles pour que vous le vouliez.

Nous sommes des filles et des fils de Rejetés, ces citoyens un peu trop gênants, un peu trop intelligents, un peu trop différents.

Nos parents ont été bannis, jetés dans un dépotoir, une fosse mortuaire, une ville fantôme dont les autorités avaient pris toutes les ressources avant de la saccager.

Nous portons en nous leurs désirs de vengeance. Nous vivons avec ce rictus de hargne qui déforme notre visage. Nous sommes prêts à tout pour vivre : nous sommes déjà morts.

Il paraît qu’il existerait une ville-lumière, une ville où le jour serait maître et où la vie foisonnerait; une ville où les maisons s’élèveraient à des dizaines de mètres, où la nourriture s’étalerait à profusion et où les habitants possèderaient la « technologie » alors que nous ne connaissons que les lampes à huiles qui pendent parfois au détour d’une ruelle.

C’est de cette ville dont l’envie parsème nos rêves mais à laquelle nos cauchemars vouent une haine éternelle.

C’est dans cette ville, exactement dans cette ville que dans quelques jours nous ferons irruption. Nous tuerons tous ses habitants, du premier au dernier, sans remords ni arrière pensées et nous ne seront satisfaits que lorsque la cité sera tombée sous notre joug car alors, enfin, nous pourrons naître.

Cela fait des années que nous cherchons à nous échapper, des années que nous forçons la serrure de notre prison, des années que nous préparons notre vengeance.

Les deux villes sont reliées par un long tunnel sinueux où il suffit de fermer les yeux quelques secondes pour se perdre, un sinistre tunnel à travers lequel la coupole de lumière nous envoie sans cesse de nouveaux Rejetés, un mystérieux tunnel qui rend fou.

Mais il y a deux jours nous avons trouvé la clé, nous nous sommes rassemblés et nous avons prêter serment de rester unis pour franchir le passage.

Alors depuis deux jours nous récoltons les vivres, nous amassons les armes et nous forgons notre courage, notre volonté, notre haine.

Nous sommes les enfants de la nuit mais demain nous tuerons l’obscurité pour ensanglanter le jour.

Nul doute que ce sera une douloureuse naissance.


     Voici notre peuple rassemblé aux abords du tunnel, notre armée de la nuit qui lève son poing ganté et crie à la vengeance. Nous ne sommes plus que des monstres, prêts à lacérer de nos regards impitoyables, à transpercer de nos rugissements de bête. Nos babines se retroussent et nos armes frappent tels des éclairs le ciel noir sous nos pieds en réponse aux paroles du maître :

« Qui sont-ils pour s’octroyer à eux seuls le privilège de la lumière ? »

Le bruit sourd des bâtons qui s’écrasent au sol. « Qui sont-ils pour avoir le droit de détruire notre monde, notre vie ? »

Le cri strident des vitres qui se brisent.

« Ils ne sont rien, rien d’autre que des hommes et des femmes comme nous tous et demain il ne seront plus que des souvenirs ! »

Le grondement de la terre qui tremble.

« Aux armes mes frères ! Pour la vie ! »

Et tandis que nous pénétrons dans le tunnel la nuit répond :

« Pour la lumière ! »


     Cela fait déjà de nombreuses heures que nous déambulons dans l’obscurité la plus complète. Nous sommes une armée de fantômes, d’ombres, d’aveugles qui avancent pas à pas avec la plus grande lenteur pour ne pas nous perdre.

Nous ne possédons aucune carte, comment pourrions-nous la lire ? Nous avons juste un guide, un Rejeté qui n’a pas tout oublié, qui se souvient malgré la folie qui l’avait envahie après son arrivée, un maître.

Il progresse à tâtons, les mains dépliées contre les murs. Chacun de ses doigt analyse méticuleusement les aspérités de la roche. Si pour nous le tunnel est muet, pour lui les ténèbres susurrent à ses oreilles et lui indiquent la route.

Nos sandales boueuses claquent dans les flaques d’eau et répendent dans le sinistre boyau une cacaphonie de sons répugnants. Mais pour le guide c’est une mélodie, un orchestre qui lui dicte le tympo et la marche à suivre.

Alors aveuglément nous nous glissons à sa suite.

Cependant quelques heures plus tard, tandis que nulle lumière ne nous apparaît, nous nous arrêtons.

Le maître est devenu fou . Instinctivement nos regards se tournent vers lui. Il est adossé contre une paroi humide et il gémit, il chuchote…

« Epiés, nous sommes épier. Ils sont autour, ils nous observent, je les sens, je les entends… »

Il hurle et griffe la pierre de ses ongles :

«  Laissez nous en paix, allez vous-en ! »

Alors petit à petit, ce qui depuis le début nous avait échappé nous percute soudain de plein fouet et nous les voyons.

Ce sont des formes étranges ancrées dans la roche. Elles se mouvent avec d’horribles crissements métalliques et leur unique oeil rouge nous fixe. Nous ne sommes plus seuls, d’autres êtres inconnus sont là, ils nous entourent…

Ils se sont immobilisés, ils préparent leur assaut.

Tout à coup un des notres dégaine son épée et se met à courir, poussé par une folie maladive, vers le monstre. Un cri animal sort de ses poumons et vient se mêler au rire sournois de l’eau sous ses pieds glacés. Lorsque son arme, d’un geste net et précis, transperce la bête notre camarade est parcouru d’un soubresaut. A peine la douleur s’est-elle faite entendre qu’il gît, raide, au milieu du conduit. La riposte aura été calme et rapide. L’être n’a pas bougé. Quelques lueurs éparses crépitent juste autour de lui comme s’il voulait illuminer le cadavre de sa victime.

Nous nous figeons. Nous observons. Brusquement tel un éclair dans l’obscurité le danger nous apparaît. La mort rôde.

Pris de panique certains d’entre nous commencent à hurler et tentent de fuir les monstres en courant à travers le premier passage qui se présente à eux. Ils ne le savent pas encore mais ils sont perdus.

Quiconque s’éloigne du maître s’égare.

Voici la seule règle du jeu mais il ne faut pas l’enfreindre sinon c’est l’élimination et la mort.

Quelques minutes plus tard lorsque le guide se relève, ce n’est plus un homme mais le fantôme d’un être bouleversé par la peur d’un cauchemar qui devient réalité.

Il reprend sa route sans nous prêter attention.

Où va-t-il ? Sait-il encore ce qu’il fait ?

Nous le suivons, nous n’avons pas le choix.

Nous voulons la lumière et dans cette grotte la mémoire du maître, même fou, éclaire notre chemin.


     La lumière, enfin ! Après tout ce temps passé à chercher notre route, à ramper au milieu des rochers et des cadavres comme nous le ferions dans un cimetière, nous l’avons trouvée, la lumière, la vie.

C’est une faible lueur à peine percevable, un halo d’espoir qui nous entoure, nous embaume du parfum de la liberté. Pour certains c’est une naissance, pour d’autres une résurrection mais pour tous c’est le symbole même de l’existence.

Pour la première fois nous nous observons les uns les autres et nous pouvons clairement voir notre visage dans le regard lumineux de nos frères. Pour la première fois nous vivons parce que nous ne sommes plus seulement la vague image d’un mouvement, d’un son; pour la première fois nous existons parce que nous voyons désormais nos visages, nos sourires et que nous entrevoyons notre avenir.

Tel un unique corps notre armée se remet en mouvement mais ce n’est plus de ce pas trainant des formes que nous étions, c’est d’un pas énergique que nous courons en Hommes libres.

Rapidement la lumière se rapproche. Nous sommes les enfants de la nuit plongés dans le ventre de la Terre et nous forçons le passage parce que nous savons qu’au bout réside la lumière.

Inconsciemment nous brandissons nos armes et poussons des cris de guerre. La vie est une bataille rude et difficile cependant les batailles ne se mènent jamais seules et aujourd’hui nous sommes des dizaines. La vie n’est qu’une longue bataille pour l’acquisition de la lumière.

Soudain les plaintes des fusils résonnèrent et les moqueries des mitrailleuse fusèrent.

Soudain nous vîmes le sang.

Soudain nous devînmes des morts-nés.

Ils nous avaient attendus en embuscade à l’entrée de la ville-lumière, ils nous avaient entendus, ils nous avaient descendus .

Ils n’avaient pas de simples cimeterre et de simples arbalètes.

Ils avaient des revolvers et des mitraillettes.

Lorsque les enfants naissent ils pleurent alors, comme eux, nous avons versé des larmes rouges.

La vie devrait être un droit universel. Pourquoi certains vivent dans la lumière tandis que d’autres sont voués à l’obscurité ?


     Il était devenu fou. Il courait dans les ténèbres les mains plaquées sur ses oreilles pour ne plus entendre les détonations des fusils et s’imaginer les visages torturés de ses frères.

Le premier coup de feu avait illuminé son esprit et il avait alors fait volte-face, pris de panique et s’était jeté dans le tunnel comme si l’obscurité aurait pu le sauver de la terrible révélation qui était apparu à lui.

Cependant il ne courait pas aveuglément. S’il avait les mains qui lui couvraient les oreilles s’étaient aussi pour mieux entendre la mélodie de l’eau.

Il savait ce qu’il faisait et il savait où il allait : il était le maître.

Au bout d’une dizaine de minutes il ralentit l’allure pour se recroqueviller finalement dans l’angle d’une cavité.

Sa respiration était haletante et il se balançait d’avant en arrière pour se calmer.

Lorsqu’il avait vu la lumière apparaître il n’avait pas couru comme les autres. Au milieu de cette pâle clarté il avait revu le cadavre de son frère s’étaler à ses pieds, il avait revu les projectiles de lumière éclater autour du monstre de fer. Il n’avait pas pu bouger.

Désormais il se demandait que faire. Il se demandait s’il avait encore le droit de vivre alors qu’il avait vu mourir ses semblables. Il pleurait, lui aussi, mais il pleurait silencieusement.

Tout à coup il frappa le mur devant lui. Il frappa parce qu’il avait mal à l’âme et au coeur, il frappa pour punir le tunnel qui avait déjà ôté tellement de vie, il frappa et une porte pivota.

Une douce lumière filtrait à travers le passage découvert. Cette fois-ci le maître n’hésita pas, il la suivit.

C’était une petite pièce carrée couverte de métal. Dans les angles étaient fixés les mêmes bêtes que dans le tunnel, ces monstres de ferraille à l’oeil rouge. Mais il y en avait également d’autres, un peu différents, plus plats et à la face brillante qui ronronnaient étrangement.

Le maître resta ainsi un instant à observer les monstres immobiles autour de lui. Pour la première fois la curiosité l’emporta sur la terreur : il avança d’un pas.

Soudain un grésillement strident retentit suivit du dialogue incompréhensible du métal.

En quelques secondes une cage l’entourait et une voix se mit à parler. Elle venait de chaque monstre à la fois, de chaque recoin de la pièce; ce n’était pas une voix humaine :

« Alerte ! Le cobaye n°231 s’est évadé du laboratoire ! Alerte ! »

Le maître s’était ramassé en boule contre les barreaux de sa prison et murmurait des paroles inaudibles.

Il ne vit pas arriver l’homme.

Il était grand, les cheveux blond et il portait une blouse blanche. A part son visage doux et serein il ressemblait en tout point à l’être qu’il observait à travers la cage.

Ils auraient pu être frères…

L’homme s’approcha et s’affaissa sur une chaise :

« Pourquoi ? Pourquoi l’expérience a-t-elle encore échouée ?

C’était pourtant les bonnes conditions expérimentales, je ne me suis pas trompé…

Deux micro-mondes similaires séparés par un tunnel…

Pourquoi l’un est-il obligé de détruire l’autre ? Pourquoi ? Mais dis-moi pourquoi ! »

Le maître le fixait et il se souvenait. Il se souvenait de l’invasion…il en avait fait parti…

« Pourquoi l’un est-il obligé de coloniser l’autre ? »

Il se souvenait des chaines aux pieds de ses frères…

« Pourquoi l’un doit-il réduire l’autre en esclavage ? »

Il se souvenait avoir posé des bombes pour mieux détruire…

Il se souvenait avoir intoxiqué l’eau, l’air pour mieux les contrôler…

« Pourquoi la Terre se meurt-elle par notre faute ? »

Il se souvenait être reparti chez lui et les avoir laissé dans leur immondices…

« Pourquoi ne leur venons-nous pas en aide ? »

Mais surtout il se souvenait avoir accepté le marché, il se souvenait être retourné dans la ville-nuit, il se souvenait avoir menti…

« Pourquoi le monde est-il plein de corruption ? »

…il se souvenait les avoir mené à la mort, un à un, parce que tel était son contrat…

« Pourquoi l’un doit-il tuer l’autre ?

- Parce que nous sommes des Hommes. »

 

 

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12th avril 2009

Nous est l’image de Je par la fonction Toi

Salut !

Un week end de trois jours ça fait du bien surtout que ces derniers temps je suis débordée, pas des devoirs mais d’activités ! Entre le club Unesco, le spectacle de chant et l’Astrorama où je suis stagiaire j’ai plus beaucoup de temps…

Récemment j’ai battu un record : en cours de français pour un contrôle je suis parvenue à écrire un poème en 1h 50 alors que généralement je prends le double si ce n’est parfois le triple !

Enfin, aujourd’hui je vous présente un poème un peu particulier. Etant passionnée à la fois de littérature et de sciences il m’arrive de mélanger ces deux domaines…vous allez voir et n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.

Bye et bonne lecture !

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Nous est l’image de Je par la fonction Toi


Je, simple antécédent habitant les abscisses,
Je, chiffre singulier aux formes infinies,
Je, mystère de soi, nombre obscur des abysses,
Tu n’as comme valeur que l’union définie.

Nous, féérique image, sage espoir ordonné,
Nous suivant les règles du coeur de la science,
Nous, point sans visage, pronom fusionné,
Vous êtes la somme d’une étrange alliance.

Toi, formule d’amour, miroir en poussière,
Toi qui réverbère le jeu des sentiments,
Toi, courbe parfaite, ta fonction est de plaire.
Moi je subsiste seul, chiffre discordant.

 

 

 

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1st avril 2009

Sur le feu des projecteurs.

Salut !

Enfin, tous mes diplomes sont terminés ! Avec le B1 d’allemand et d’anglais j’ai eu ma dose d’examen même si le plus dur arrivera seulement l’année prochaine…

Je vous présente aujourd’hui une nouvelle que j’ai écrite un peu avant les vacances de Noël, je sais cela fait un bout de temps…

Pour ce récit, le titre s’est d’abord imposé à moi et ensuite seulement j’ai tenté d’y trouvé une histoire. Elle est assez courte comme nouvelle mais ce n’est pas la petite de toutes celles que j’a écrite, la dernière ne faisant même pas une page !

Je vous laisse lire et j’espère que cela vous plaira.

Bye et bonne lecture.

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Sur le feu des projecteurs.

 

    La nuit était tombée depuis longtemps mais je me croyais encore en plein jour. Il y avait tout autour du champ réquisitionné pour l’évènement des centaines de tentes baignées de la lumière des immenses projecteurs et la tension était palpable dans l’air.

J’étais arrivé sur place la veille et m’étais levé au aurore pour n’obtenir au final qu’une position très médiocre à plusieurs dizaines de mètres de l’estrade.

A mes côtés je distinguais aussi bien mes collègues et amis partisans de la littérature du passé que des défenseurs de la littérature du présent et même des dirigeants de celle du futur.

C’était surement la première fois que je voyais ces trois camps réunis dans la plus profonde sérénité où nul n’avait besoin d’attaquer les idées du parti adverse.

Pour la première fois j’avais l’impression que les différents visages de l’humanité rassemblés en ce lieu ne formaient plus qu’un avec moi.

Munis d’un cahier et d’un stylo nous attendions le messie.

Alors, lentement, les lumières situées aux quatre coins de la scène convergèrent vers le fond de l’estrade en même temps que nos regards avides.

Des frissons, des murmures parcoururent la foule tandis que je me balançais d’un pied sur l’autre pour contenir mon excitation.

Lorsque les projecteurs s’immobilisèrent le silence s’installa brusquement et illuminé de toute part il apparut; l’enfant.

De loin je le distinguais mal. Il tenait entre ces mains une feuille de papier et s’avançait vers le micro d’une démarche hésitante.

J’entendais chacun de ses pas sur le bois grinçant de l’estrade et retenais ma respiration pour ne pas briser l’enchantement. Quand il fut parvenu devant la scène il donna deux coups précis sur le micro qui grésilla.

« Bonsoir. »

Alors toutes les plumes se jetèrent sur le papier pour écrire ce simple mot atemporel.


     Article de presse paru dans la revue: « Au jour d’aujourd’hui » :

« Chers lecteurs et électeurs le grand gagnant du concours « Auteurs en devenir » se nomme Cristopher Janist et, âgé à peine de neuf ans, c’est de loin le plus jeune détenteur de ce prestigieux titre.

Incontestablement c’est un vrai miracle pour son poème d’avoir séduit à l’unanimité un jury composé de vingt professeurs de lettres et de deux auteurs alors que l’âge des participants atteint les 17 ans.

« Les mots coulent, ruissellent; ils me frôlent, m’emportent…Je ne suis plus sur ma chaise, ils ne sont plus sur la feuille : je suis en eux et ils sont en moi. » Tel est le témoignage d’un des membres du jury , complètement bouleversé après la lecture de ce qu’il qualifie désormais « d’oeuvre littéraire à part entière. ».

Son poème publié sur internet par le directeur du concours reçoit par jour plus de trente milles visites et, face à son succès grandissant, les maisons d’édition se l’arrachent à prix d’or tandis que sa traduction existe déjà en trois langues différentes.

Pourtant ce prodige de la littérature n’appartient pas à une haute famille bourgeoise très cultivée, au contraire, ses parents qui n’hésitent pas à l’avouer s’inquiètent chaque mois de ne pas pouvoir payer leur modeste loyer.

Mais il est désormais certain que le talent de leur enfant va bientôt mettre un terme à leurs problèmes financiers en enflammant sa carrière. »


     Demain jamais plus il n’écrira au présent, jamais plus il n’écrira au passé. Demain il écrira au futur. Cet enfant rapportera gros, j’en mettrai ma main au feu, et je ne laisserai pas ces partisans de bas-étages de la littérature du passé ou de la littérature du présent me devancer.

Dans quelques minutes mes hommes de mains me téléphoneront. Ils seront alors dans la voiture avec lui en direction de mon bureau et il suffira de lui parler pour le convaincre de signer l’accord. Je le manipulerai, je lui promettrai tout ce dont il aura envie et alors il ne sera plus qu’un enfant dont je pourrai m’approprier le talent….l’argent.

Pour les parents se sera encore plus facile, pauvres et probablement endettés ils ne pourront pas refuser; je les achèterai.

Et ils ignoreront que rien ne pourra détruire ces contrats, que rien ne pourra les réduire en cendre.


     Tu es là au bord de l’estrade et tu ne sais plus que dire, tu ne sais plus que faire.

Toute cette lumière sur toi t’éblouit et ton esprit n’est qu’un vaste marécage de pensées embourbées.

Qui sont ces étranges partis qui veulent te manipuler, abuser de ce que tu es ? Ils ne s’expriment que dans un unique temps et ne voyent que par un seul fragment de la littérature.

Tu es le seul à les voir se rapprocher, à murmurer à des boites métalliques. Tu ne les entends pas mais tu sais qu’ils t’épient. Tu sais qu’ils vont vouloir te prendre et t’asservir à leur manière d’écrire où chaque mot n’est qu’une prison et non une immense plaine sur laquelle tu aimes tant gambader à loisir.

Tu as peur.

Une seule phrase, un seul verbe et ton destin sera cellé. Du présent ? Alors le passé et le futur se ligueront contre toi. Du passé ? Soit, mais tu seras ignoré des deux tiers de la population. Du futur ? Là ce n’est plus simplement un parti littéraire mais aussi politique que tu choisirai. Ce n’est même plus décider de ta cellule de prison mais de ton mode d’excution. Guillotine ou chaise électrique ?

Lentement les barreaux se ressèrent et tu ne peux plus t’échapper. La scène devient une cage et toi un animal de foire que tous regardent ébahis.

Mais on a toujours le choix et tu as fait ton choix.

Tu poses le micro au sol, tout doucement pour ne pas faire de bruit. Tu ne veux pas qu’ils s’approprient ton talent, qu’ils l’encerrent dans leurs mains pour le broyer plus aisément. Tu pourrais le leur dire mais ils n’écouteraient pas : ce sont des adultes et tu es un enfant.

Tu t’avances vers l’extrémité de la scène. Tu es un enfant et les enfants n’écoutent que leur coeur.

Tu as un coeur, encore maladroit, instable, il n’est pas comme celui des adultes : il n’écoute pas la raison.

Tu sais qu’il n’ y a qu’un moyen pour les empêcher de ligoter et d’enfermer dans une étroite boite ce qui coule en toi; cet amour des mots.

Ils se regardent à moitié étonnés à moitié effrayés. Tu voudrais leur sourire pour montrer que tu es plus fort qu’eux mais tu n’y arrives pas. Tu pleures.

Tu soulèves la manche de ta chemise.

Ils ne te voleront pas ce qui t’appartient. Non. Cela restera en toi.

Tu poses ta main, paûme ouverte, sur la lampe brûlante de l’immense projecteur.

Tu serres les dents. Tu pinces tes lèvres.

C’est si douloureux de ne plus pouvoir écrire.

 

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